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bras, en expiation des péchés qu’ils ont pu commettre dans le cours de l’année.

Les églises et les couvents de Cuzco sont généralement construits en pierre dure, grès carbonifère, trachyte porphyroïde, granit feldspathique, au lieu d’être bâtis en bois, en torchis et en plâtre, comme ceux des villes du littoral. Cette différence dans le choix et la nature des matériaux, est motivée par la situation des derniers édifices au pied de la chaîne des Andes dans le voisinage de quelque volcan, et la fréquence des tremblements de terre auxquels ils sont exposés. De là l’emploi du badigeon sur leurs façades et ces nuances gris de perle, rose paille, cuisse de nymphe, dont l’architecte les empâte pour dissimuler la charpente du monument. Les édifices de Cuzco n’ont pas besoin de recourir à ces artifices vulgaires. Ils étalent dans sa couleur et sa nudité primitives la pierre dont ils sont bâtis, et sur laquelle le temps, la pluie et le soleil ont passé comme un vernis sombre. Leur physionomie a je ne sais quelle grandeur morne, quelle majesté taciturne, qui s’harmonise avec la tristesse du ciel, la rigidité du climat et les lourdes gibbosités des montagnes voisines.

La disposition, intérieure des églises est presque toujours celle d’une croix latine. Quelques-unes n’ont qu’une nef sans bas côtés, comme l’église des Pères de Jésus ; d’autres ont une nef principale et deux nefs secondaires, comme l’église de la Merced, ou trois maîtresses nefs et deux collatéraux, comme la cathédrale. Leurs voûtes en berceau, plus élevées du double que celles des églises du littoral, sont quelquefois lisses, quelquefois renforcées par des arcs-doubleaux et supportées par des colonnes engagées ou de simples pilastres. La décoration architecturale de ces églises est généralement très-simple à l’intérieur. Parfois cette simplicité s’étend à l’extérieur de l’édifice, dont toute l’ornementation se borne alors à un fronton triangulaire, engagé entre deux tours en saillie, supporté par des colonnes accouplées, et surmonté d’un étage percé de fenêtres carrées et décoré de colonnettes, comme la façade de la cathédrale. Parfois encore, cette ornementation emprunte au goût hispano-lusitanien des dix-septième et dix-huitième siècles son matériel de pinacles et d’acrotères, de pyramidions et de boules, auxquels elle ajoute le luxe des enroulements, des oves, des volutes, des pompons et des chicorées de cette bienheureuse époque. L’église des Pères de Jésus et celle de la Merced offrent sur leurs façades un assortiment assez complet de ces fantaisies. Remarquons toutefois que les diverses pièces de ce bric-à-brac architectural, au lieu d’être moulées en plâtre et rapportées après coup, comme sur les façades des églises du littoral, sont laborieusement taillées dans le trachyte ou le granit des Andes, circonstance qui fait gagner par le maçon la cause perdue par l’architecte.

Ce que nous avons dit déjà du luxe si complaisamment étalé par les églises d’Aréquipa, peut s’appliquer à celles de Cuzco. C’est la même profusion de richesses, amalgamées, combinées, selon tous les logarithmes de la piété naïve et du goût inintelligent. À voir, dans un jour de solennité religieuse, resplendir, sous le feu des bougies, les magnificences de ces églises aux autels bosselés d’une croûte d’or et de pierreries, on dirait que sachant tout ce qui leur manque du côté de l’art et du style, elles se sont flattées d’y suppléer par un grand étalage de richesses, comme certaines femmes se flattent de faire oublier leur laideur en exagérant leur parure.

La cathédrale de Cuzco, dont le maître-autel est en argent massif, ainsi que le retable et tous les ornements qui le couronnent, a dans les armoires de sa sacristie des richesses fabuleuses, reliquaires, ostensoirs, ciboires, calices, patènes, constellés de diamants, de rubis, de topazes et d’émeraudes, à rendre jaloux un pape de la chrétienté du temps où les papes armaient des galères. Il est vrai que l’architecture du monument, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, est peu digne du coffre-fort de tant de richesses. Bâtie sur un terre-plein à l’endroit où s’élevait au quatorzième siècle le palais de l’Inca Viracocha, elle présente, comme nous l’avons dit, la disposition d’un carré long, aux deux tiers duquel deux tours font saillie. Des colonnes accouplées séparent les trois portes de sa façade, décorée d’un fronton quelconque. Des fenêtres carrées, flanquées de colonnettes, couronnent l’architrave et font comme un premier étage à l’édifice. Ajoutons que le grès trachytique dont il est bâti a pris en vieillissant une teinte de suie, qui contraste fort avec la blancheur calcaire des coupoles de ses cinq nefs et de ses deux clochers.

L’intérieur du vaisseau se compose d’un pronaos ou narthex ouvrant sur trois maîtresses nefs et deux collatéraux pourvus de chapelles. La plus célèbre de ces chapelles, la seconde à droite en entrant, est celle du Señor de los Temblores ou Christ des tremblements de terre. Nous y reviendrons en détail en parlant des fêtes religieuses et des processions de Cuzco. Les rares ouvertures ménagées dans les parois de l’édifice, permettent à peine à la lumière d’en éclairer l’intérieur ; les retombées des voûtes de ses trois nefs et les piliers qui les supportent, ajoutent encore à cette obscurité, que l’air du dehors rend glaciale. Le seul rayon, le seul flambeau, qui éclaire et réchauffe un peu ces ténèbres, le seul joyau inestimable parmi tous les joyaux sans prix que possède cette lugubre basilique, c’est un Christ en croix qui décore sa sacristie, splendide peinture de la seconde manière de Murillo.

Autour de la cathédrale s’étend un atrium ou parvis, bordé d’une muraille à hauteur d’homme, coupée de distance en distance par des socles surmontés de pyramidions. Le long de ce mur, et comme pour rompre l’uniformité de sa ligne droite, règne un pittoresque cordon de bannes de toile et de grands parapluies, sous lesquels des industriels des deux sexes étalent à la vue des passants des guenilles sordides et d’épais souliers à six rangs de clous, comme en usent les gouverneurs et les alcades fashionables des villages de la Sierra.

Une tradition que les Nestors indigènes à peau brune