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dans leur argot spécial nos tapissiers appellent tibaude. Rien de plus humble que les salles où travaillent à ces tissus locaux des individus des deux sexes ; rien de plus primitif que les métiers qui servent à les fabriquer. Les premières se composent de quatre murs démantelés et d’un toit de chaume où l’industrieuse Arachné donne l’exemple aux travailleurs en tissant ses réseaux à prendre les mouches ; les seconds sont de simples bâtons en croix, liés par de simples ficelles.

La province de Quispicanchi, où les lumières sont en honneur, ne compte pas moins de sept écoles dans son étendue ; mais celle de Huaro est la plus célèbre. On pourrait même, à bon droit, l’appeler l’Université de Quispicanchi, car elle est la seule école de cette province ou les élèves apprennent, en même temps que les fables d’Yriarte et la grammaire espagnole, à décliner les substantifs homo, mulier, cornu dans le rudiment. À partir de Huaro, la quebrada de Cuzco va s’élargissant de plus en plus. On chemine sur une route ou plutôt une chaussée unie et spacieuse que la nature, seul cantonnier qu’on connaisse au Pérou, entretient de son mieux, malgré la fréquence des averses et les éboulements de terrain qu’elles occasionnent. Trois lieues séparent Huaro d’Andahuaylillas, un village qui dans l’été n’a de remarquable que les flaques d’eau et les marécages laissés par les pluies de l’hiver. Ce village où le sous-préfet de Quispicanchi fait sa résidence, au lieu d’habiter, comme il le devrait, Urcos, chef-lieu de la province, porte dans les annuaires le nom de ville. À ceux qu’étonnerait cette substitution de titre, nous dirons qu’un sous-préfet n’eût pu sans déroger habiter un pueblo. Par considération pour le rang de ce fonctionnaire, les statisticiens du pays ont donc donné le nom de ville au village où il a élu domicile, non par amour du pittoresque, mais pour surveiller l’exploitation d’une ferme qu’il y possède.

Oropesa, la bourgade héroïque.

Anduhuaylillas, place au pied des cerros dans une douce exposition au sud-est, jouit en tout temps d’une température assez agréable : le maïs, le blé, les légumes y prospèrent, et les arbres fruitiers s’y couvrent de fleurs. Quant à la qualité de leurs fruits, elle est la même que celle de tous les vergers sis entre Quiquijana et Cuzco, c’est-à-dire que les meilleurs d’entre eux ne valent pas le diable. En vain les arboriculteurs de la contrée, furieux de voir l’étranger déprécier hautement ces fruits, taillent, ratissent, inondent, échenillent les arbres qui les portent, afin d’en obtenir des produits de choix ; le dieu Soleil, pour punir ces indigènes de leur apostasie, se refuse à sucrer leurs pommes et leurs poires et consent au plus à les colorer en passant. Telle est, nous le croyons du moins, la cause à laquelle on doit attribuer l’acidité des fruits de la quebrada de Cuzco.

Les mêmes statisticiens qui, par considération pour un sous-préfet, ont qualifié de ville le village d’Andahuaylillas, ont donné le nom de vallée aux terrains ensemencés qui l’avoisinent. Cette vallée, pour lui conserver son titre sonore, change de nom à une lieue de là, et de vallée d’Andahuaylillas qu’elle était, devient vallée de Lucre. Le voyageur qui sur la foi d’un annuaire péruvien chercherait une vallée dans ces carrés de trèfle et de froment, serait tout surpris de ne rien trouver de semblable ou même d’approchant. Mais, en se contentant du nom, sans avoir égard à la chose, il est à l’abri d’une déception. En attendant que la nature fasse de Lucre une vallée, les hommes en ont fait une métairie, autour de laquelle sont groupés, dans un beau désordre, des parcs à bêtes et des chaumières de péons. On y cultive avec succès le maïs, le blé, les légumes ; on y tisse la bayeta et le bayeton au grand déplaisir de Huaro, dont cette concurrence et ce voisinage immédiat paralysent un peu l’industrie. Nous regrettons sincèrement de n’avoir rien de plus et surtout rien de mieux à dire.