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effrayé de l’image qu’il me présenta. J’avais le teint livide, les yeux bouffis et le visage plus tatoué que celui de Chingacook le Mohican. Par opposition, la peau de Ñor Medina était unie comme un velours et n’offrait aucune trace de piqûre ; j’en inférai, malgré le dire des matrones, que les hommes, réellement égaux devant la mort, ne l’étaient pas du tout devant les puces, puisque les infernales bêtes, qui m’avaient dévoré, avaient cru devoir épargner mon guide.

Une nuit de torture.

Le soleil avait dépassé l’horizon quand nous songeâmes à nous remettre en marche. Ñor Medina alla chercher nos mules et commença de les seller. Comme il était en train de harnacher la mienne, un bout de cuir qui tenait à la sangle se rompit ou se décousit, je ne sais lequel. Pendant qu’il empruntait à nos hôtesses une aiguille et du fil pour réparer cette avarie, j’allai faire un tour dans le village. Ma mauvaise étoile ou plutôt mon ignorance de la localité, me conduisit précisément dans la rue où la veille j’étais parvenu, comme l’humble Joseph et le fier Hippolyte, à sortir vainqueur du combat livré à mes sens. Quelques ménagères, debout sur le seuil des maisons, sourirent en m’apercevant et se mirent à chuchoter. Je compris sur-le-champ qu’elles s’entretenaient de cette aventure ; mais, fort de mon innocence, je passai fièrement devant les commères sans les honorer d’un salut. Tout en songeant que la réputation de l’homme est un cristal que peut ternir le moindre souffle, je dépassai sans m’en apercevoir les maisons d’Acopia et me trouvai bientôt dans la campagne, si l’on peut donner ce nom à une suite de terrains montueux, jonchés de pierres et hérissés çà et là de maigres buissons ; deux lacs que j’entrevis à quelque distance, et vers lesquels je me dirigeai, allongèrent d’autant ma promenade. Tous deux étaient placés à fleur de terre, aucune touffe d’herbe, si grêle qu’elle fût, n’embellissait leurs bords, nul palmipède ne folâtrait à leur surface et leurs eaux immobiles semblaient recouvertes d’une pellicule. Je tournai le dos aux deux lacs et revins sur mes pas. Mon guide, qui avait terminé sa besogne, commençait à s’étonner de mon absence prolongée. Nous prîmes congé de Bibiana et de Maria Salomé, que leurs éclats de rire de la nuit avaient singulièrement abaissées dans mon estime, et nous nous éloignâmes de leur infernale demeure.

La journée s’annonçait sous de riants auspices ; le ciel était pur, le soleil brillant, la température assez douce. Bien que nous ne sussions pas encore où nous déjeunerions, cette ignorance n’avait pour nous rien de pénible ; le double aspect de la terre et du ciel suffisait pour le moment à notre estomac, et leur sérénité réagissant sur notre humeur, la colorait de reflets chatoyants et de nuances irisées.

Sous le coup de cet épanouissement moral, nous cau-