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comme les ressources de celle-ci sont assez bornées, ses habitants, par mesure d’économie, en sont revenus aux ponts-balançoires en osier tressé, dont leurs aïeux s’étaient servis pendant six siècles.

Ce qui distingue Combapata des autres villages de la Sierra n’est ni son christ miraculeux, ni l’or que charrie sa rivière ; c’est la qualité de la chicha que fabriquent ses habitants. Longtemps on ignora par quel procédé les matrones de ce village obtenaient leur bière locale, dont la transparence et l’odeur rappellent le clairet d’Espagne appelé manzanilla. Mais ce secret finit par être divulgué ; aujourd’hui chacun sait que la qualité de cette chicha est due à la mastication préalable du guñapo ou maïs germé avec lequel on la fabrique. L’invention de ce procédé remonte aux anciens Aymaras. Les cabaretières de Cochabamba dans le haut Pérou, descendantes de ces autochtones, l’emploient encore avec succès. Ce procédé, sur lequel nous croyons devoir appeler l’attention des rédacteurs de la Cuisinière bourgeoise et des éditeurs de Recueils utiles, est des plus simples et des moins dispendieux. Quelques vieillards des deux sexes s’accroupissent autour d’un monceau de maïs concassé ; chacun prend au tas une poignée de ce maïs qu’il porte à sa bouche et mâche avec plus ou moins de vigueur et pendant plus ou moins de temps, suivant le degré de vétusté de ses molaires. Quand ce maïs paraît au travailleur suffisamment broyé, il le crache dans sa main et le dépose sur un morceau de cuir placé près de lui et où la cabaretière vient le prendre pour le jeter dans la jarre qui tient lieu de chaudière.

D’après quelques chimistes du pays qui ont analysé la chose, c’est à une addition notable des sucs salivaires et aux sécrétions de la membrane pituitaire qui s’y trouvent mêlées, que le maïs de Combapata doit les qualités précieuses qu’il communique à sa chicha. Je ne saurais dire si la chimie locale a tort ou raison, ayant toujours refusé de goûter à cette bière de la province de Canchis ; mais j’avoue m’être arrêté parfois devant les chicherias où on la fabrique, et avoir pris plaisir à regarder les chiqueurs de maïs des deux sexes qui y étaient réunis ; Les bouches de ces braves gens, qui s’ouvraient et se refermaient avec une précision mécanique, et cela sans désemparer, me rappelaient, en même temps que la patrie absente, les dentiers de Désirabode, s’agitant du matin au soir dans leur cadre vitré.

Village et lagunes de Combapata.

Au sortir de Combapata on se dirige vers Checcacupi, distant de trois lieues. Checcacupi est un pauvre village d’une trentaine de feux, situé près d’une petite rivière, descendue, comme celle de Combapata, des Andes du Crucero. On traverse cette rivière sur un pont de pierre qui date de l’époque des vice-rois, et laissant derrière soi les provinces limitrophes de Canchis et de Canas, autrefois comprises dans le Corregimiento de Tinta, on entre dans la province de Quispicanchi. Avant de passer