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fondeurs peuplées d’oiseaux silencieux et de reptiles qui laissent une trace luisante sur les pierres humides. Nous n’osâmes nous risquer dans cette nuit où descendaient les initiés, au temps de Sésostris.

Ghircheh ou Ghirch-Hussein.

Nous passons rapidement devant les deux temples de Dakkeh, ancienne Pselcis, bien qu’ils soient dédiés à Tôt, le dieu des arts et des lettres. Les ruines de Maharakka, postérieures et inférieures à beaucoup d’autres, nous fournissent toutefois un motif pittoresque. Elles ressemblent à ces châteaux que les enfants construisent avec des cubes de bois toujours renversés. Une cour entourée de colonnes est restée debout. À quelques mètres du flanc oriental gisent les restes informes d’un édifice plus ancien qui a servi peut-être à la construction du nouveau. L’avenue de Sphinx qui vaut à Séboua le beau nom de vallée des Lions n’est plus guère qu’une suite de décombres, en avant d’un hémispéos dont le sable interdit l’entrée.

La lenteur de la barque, la chaleur croissante, l’aspect désolé du pays que nous traversions, nous accablaient d’une morne langueur. Plus de montagnes, mais des amas de roches calcinées, fendues soit par le temps, soit par le soleil des tropiques, jonchant au loin l’étendue ; tout autour de nous un sable brûlant ; le désert bordait l’eau ; les villages devenaient rares et les hommes plus farouches. Assez près des débris de Séboua, vers trois heures, c’était le 12 janvier, la mauvaise volonté du vent nous contraignit de faire valoir notre firman ; mais quand nous voulûmes recruter des aides dans un hameau voisin, nous fûmes accueillis par une complète rébellion. Déjà depuis longtemps fort inquiets, nous attendions le retour du reis et du cawas, lorsqu’une détonation se fit entendre. Aussitôt nous ordonnons d’amarrer la barque, et nous descendons à terre avec une partie de l’équipage pour soutenir les nôtres. Ils arrivaient suivis d’une multitude de criards que la vue de notre escorte fit reculer ; on entendait un grand tumulte et, comme toujours, les voix aiguës des femmes et des enfants juchés sur les misérables toits. Dans notre premier émoi nous n’avions pas vu que nos hommes traînaient avec eux un prisonnier important, le cheik lui-même ; notre attitude énergique et à la fois conciliante imposa quelque respect à ces natures sauvages ; et comme le coup de fusil tiré, nous dit-on, par mégarde, n’avait blessé personne, la paix se fit promptement. Le café et vingt-deux mauvais cigares habilement offerts firent des plus mutins nos meilleurs amis. Le cheik se mit lui-même à la corde et la barque fila rapidement. C’est ce que nous voulions. Désormais la population se mit partout à nos ordres ; des courriers envoyés en avant prévenaient le village de notre arrivée, et nous trouvions à l’heure dite notre relais d’hommes.

Notre marche était sans cesse entravée par des roches à fleur d’eau et par ces levées de pierres que nous remarquions depuis Philae. Elles servent d’assiette à des sakiehs, machines très-simples, destinées à faire monter l’eau pour la culture, à l’aide d’un appareil analogue à la roue des bateaux dragueurs. Les sakiehs prennent en Nubie des proportions énormes ; on dirait des espèces de forts avec des plates-formes en bois de palmier. Sur ces terrasses très élevées, le conducteur des buffles ou des bœufs qui font tourner la machine passe sa vie, assis sur une traverse au-dessus de l’attelage ; et là, tout en excitant ses animaux, il se livre au kief oriental, et rêve le paradis de Mahomet, à moins qu’il ne chante des airs suaves, tels que Félicien David en a rapporté du désert.

Nous nous reposâmes deux jours à Korosko, mauvaise bourgade très-fréquentée, d’où partent les caravanes qui veulent gagner Kartoum, par le désert d’Atmour-Béla-Ma ; on vante sans trop de raison le kan de Korosko, terrain carré clos de murs, encombré de ballots par le commerce du Soudan. Notre séjour, fort inutile, avait pour cause la paresse de nos matelots. Ils nous avaient suppliés de leur donner un jour pour boire d’une bière, selon eux exquise, qui se fabrique à Korosko. Nous entrâmes donc dans une sorte de bouge, ou café, bâti dans une gorge sauvage, à l’entrée d’un grand ravin qui a dû être un bras du Nil.

Deux affreuses sorcières, noires comme de l’encre, en faisaient les honneurs ; la maîtresse de la maison, chargée de bijoux et de bracelets en défense d’éléphant,