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serres ardentes, à la carapace enflammée, dont l’haleine brûle tout sur son passage ; c’est ainsi, d’après les poëtes, que l’on aime à se figurer le Tropique ; le Cancer est au-dessus de nos têtes et nous ne voyons que deux ou trois scorpions dans la poussière ; la nature repose dans un calme parfait sous de charmants ombrages, et l’air tiède respire des aromes indécis ; rien n’est plus tempéré que la zone torride. Il est vrai que nous sommes en hiver et qu’il fait chaud comme en été. Jusqu’ici le thermomètre n’a pas marqué moins de six degrés centigrades à six heures du matin, plus de vingt-neuf à midi, moins de sept à minuit. Encore la température du matin et du soir se maintenait-elle le plus souvent entre neuf et treize degrés ; du 8 au 12 janvier, c’est-à-dire aux environs du Tropique, nous notâmes une élévation sensible, trente à trente-deux degrés à midi, quatorze à dix-sept le matin, quinze à dix-neuf le soir.

Il faut reconnaître que nous sommes en Nubie. On ne parle plus arabe ; et notre drogman désappointé doit céder ses bénéfices occultes à un de nos matelots qui connaît la langue du pays, le barbarin. Les Nubiens, généralement inoffensifs, ont cependant une allure guerrière ; le poignard qu’une courroie attache à leur bras, leur arc en bois de fer, et un bouclier en peau de crocodile sont les marques et les gardiens de leur liberté ; le gouvernement n’a rien d’eux que par la force. Vigoureux cultivateurs, ils disputent au fleuve, à mesure qu’il décroît, le limon fertile qui suffit à quatre moissons. Ne croyez pas qu’on laboure ; on se contente de semer le grain par pincées dans des trous peu profonds et la nature fait le reste. On conçoit qu’un climat si favorisé n’impose pas aux Nubiens la gêne des vêtements, la plupart n’ont sur eux que leurs armes et leur peau noire. Les femmes ont des costumes d’une coupe assez bizarre ; elles se teignent les lèvres et tressent leurs cheveux en mille petites nattes qu’elles ne refont pas tous les jours. Des Égyptiennes les trouveraient indécentes de laisser voir le bas de leur figure. Bien plus, les filles, jusqu’au mariage, ne portent pour tout voile qu’une étroite ceinture. Les villages, assez rapprochés, ne se composent guère que de quinze ou vingt huttes en terre, couvertes d’un toit plat en branches de palmier ; devant les cabanes, à Dolcé par exemple, sont rangées de grandes amphores où se garde le blé.

Déboud.

On trouve en Nubie des ruines de tous les temps et de tous les dieux antiques. Cependant les alentours de Philæ sont le royaume d’Isis et d’Osiris ; il reste des traces de leur culte à Déboud ; à Kartas, on reconnaît encore Isis dans ces têtes aux larges oreilles sculptées à l’angle des chapiteaux. La Nubie n’a pas de plus beau monument que le temple de Kalabché. Au milieu de sycomores vénérables, s’élèvent d’immenses amas de pierres : on dirait que la montagne a répandu ses entrailles jusqu’au fleuve. Une magnifique chaus-