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temple d’Isis, joint l’élégance attique à la majesté égyptienne. Et comment la science ne serait-elle pas reconnaissante envers les Ptolémées et l’île de Philæ ? C’est à Philæ que Belzoni trouva l’inscription bilingue où les noms de Ptolémée et de Cléopatre, écrits en hiéroglyphes pareils à ceux de l’inscription de Rosette, permirent à Champollion le jeune d’établir la présence des caractères phonétiques dans l’écriture égyptienne, et amenèrent la découverte de la langue.

Philæ a son histoire, politique et religieuse. Clef des cataractes, elle fut le rempart des dynasties thébaines contre les incursions des hordes d’Éthiopie ; elle devint leur refuge lorsque les hommes du Nord, Pasteurs ou Hyksos, inondèrent la basse et la moyenne Égypte. Les Rhamsès, vainqueurs des étrangers, couvrirent d’édifices les deux îles sacrées, berceau de l’indépendance renaissante ; et si Philæ na rien gardé de leurs dons, on retrouve à Béghé des restes étendus qui appartiennent au règne d’un Aménophis, successeur d’un Mœris et ancêtre de Sésostris. Aménophis, le Memnon grec, allant combattre les Éthiopiens, laissa sur un rocher une inscription qui constate son passage. On peut attribuer aux dévastations de Cambyse, vers la fin du sixième siècle, la pauvreté de Philæ en édifices très- anciens ; Nectanèbe, de la dernière dynastie nationale, commença d’en relever les ruines vers 370 ; les Ptolémées continuèrent la restauration interrompue par une nouvelle conquête perse ; et nous avons vu que les césars reprirent l’héritage des rois grecs. Lorsque l’empire, menacé au nord, fléchit sur ses frontières méridionales, Philæ fut sa dernière citadelle en Nubie ; Dioclétien la fortifia, et y construisit l’arc de triomphe ou la caserne dont il reste trois portes cintrées vers le nord de l’île.

Lorsque Pharaons, Ptolemées et Césars eurent abandonné Philæ, ses dieux y restèrent et soutinrent un long siége contre les croyances nouvelles. L’antique Osiris y avait son tombeau ; Isis et Hator, tout un peuple de pontifes et de prêtresses, qui n’en pouvaient sortir et descendaient après la mort dans une nécropole souterraine où sans doute était déposé le dieu. La sainteté de Philæ avait grandi avec le culte de ses génies locaux ; car aucune divinité égyptienne ne se répandit dans le monde romain autant qu’Osiris et Isis ; derniers noms d’Ammon et de Neith, ils étaient, avec leur fils Horus, devenus, vers les derniers siècles avant notre ère, les chefs de la hiérarchie. La dernière triade éclipsait la première. Le christianisme vint tard à Philæ ; et dans la seconde moitié de notre sixième siècle, la vieille Isis y était encore adorée. Ce fut l’islamisme qui eut la triste gloire d’en finir avec l’idole innocente ; mais il ne put substituer à son paisible règne que la solitude et le néant.


La Nubie.

Depuis hier nous sommes entrés en Nubie, et rien pourtant n’a changé : peut-être une végétation plus riche encore s’étend en étroites bandes au pied des deux chaînes, qui étreignent le Nil avec amour dans les gorges de Taphis. Ici la rive libyque, pendue à la montagne fauve comme une frange verdoyante, nous offre une promenade délicieuse ; une caravane défile comme une longue fourmilière sur une route élevée ; là, les murs d’un grand couvent suivent en serpentant les aspérités des roches ; ou bien c’est une mosquée déserte, à mi-côte, où les populations riveraines s’assemblent pour ouvrir le Baïram. Les ruines des pharaons abondent. Au loin, lorsqu’on a gravi un rocher à pic, on voit dans un labyrinthe de montagnes des colonnes se détacher sur l’horizon enflammé par le couchant : c’est toute une ville fantastique, inconnue, que nul pied n’a touchée ; quelques voyageurs, tentés par la tradition, en ont cherché la route et se sont perdus dans les plis du dédale ; et la ville inconnue garde sa renommée mystérieuse.

Nubien.

Le Cancer, animal fantastique, céleste écrevisse aux