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raons et des dieux, le Fellah prend peu de souci ; quel rapport entre sa pauvre destinée et la splendeur des rois ? Il s’élève si peu au-dessus de la terre, qu’il n’a guère de peine pour y rentrer ; de longs jours de fatigue ou de paresse ennuyée, et l’éternel oubli ! il saisit donc toutes les occasions de rire et de chanter ; et c’est aux mariages qu’éclatent surtout sa gaieté naturelle et son humeur hospitalière.

Le jour choisi pour le mariage de Mahmoud était un vendredi. Une grande tente dressée, comme c’est l’usage, devant la maison de la fiancée était, depuis deux jours déjà, le rendez-vous de tous les amis ; on nous y avait préparé une estrade d’honneur garnie de tapis et de coussins. L’heure de la prière arrivée, le marié se rendit à la mosquée, suivi de tous les invités ; son retour fut le signal du banquet. Tous les plats nous étaient présentés ; mais, malgré notre envie de faire honneur à Mahmoud, il nous fut impossible de manger ; nous nous rejetâmes sur des galettes de pain blanc, fabriquées à la barque. Toutes les amies de la mariée avaient plus ou moins trempé dans cette détestable cuisine, dont il est à croire que leur joie avait fait tourner les sauces. On les entendait rire et chanter dans la maison.

Le soir, les invités firent le tour de la ville en procession, recrutant sur leur passage toute la population oisive ; des hommes portant des lanternes marchaient à nos côtés. Une illumination complète nous attendait ; ce n’étaient que torches et fanaux ; un riche voisin avait prêté un de ces magnifiques luminaires orientaux, arbres de fer garnis de tubes de verre qui réfléchissent la flamme. Les reflets pleuvaient sur la foule attroupée, donnant aux couleurs vives des tarbouchs et des ceintures une énergie, une fraîcheur incomparables. Mahmoud était entré seul dans la pièce où l’attendaient la mariée et ses proches parents ; il sortit enfin, accompagné de femmes qui certifiaient la pureté parfaite de la jeune fille, et s’adossa fièrement au mur. Au milieu des acclamations, des coups de fusil et de pistolet, les conviés défilèrent devant lui ; chacun le félicitait, et lui mettait dans la main quelques pièces d’argent. À la grande satisfaction de la famille, nous fîmes comme les autres, peut-être un peu mieux, heureux de marquer quelque amitié à l’un de nos meilleurs matelots.

Almée ou danseuse.

Quand la collecte fut terminée, Mahmoud rentra un moment (tout cela se passait dans la tente) et parut aussitôt portant dans ses bras sa fiancée, une enfant de dix ans au plus. Encore suivi des matrones, escorté de loin par les hommes, il gagna le bord du Nil, et prenant dans sa bouche un peu d’eau, l’insuffla dans la bouche de sa femme. C’est la fin de la cérémonie. Personne ne reconduisit les époux à la maison nuptiale.

Le mariage, en Égypte, n’est pas un acte public, rigoureusement constaté par la loi. Quand le futur et les parents sont d’accord, quand la somme que doit payer le mari est stipulée (la femme n’apporte pas de dot), on procède à la célébration devant deux témoins ; quelquefois on avertit le cadi, mais c’est une formalité souvent négligée. Dans une telle union, sans garantie ultérieure, la femme n’est plus qu’une esclave achetée ; lorsqu’on n’en veut plus, on la renvoie ; elle n’a, elle-même, droit au divorce qu’en un seul cas, regardé chez nous aussi comme une grave injure. La naissance des enfants n’est jamais constatée ; il en résulte pour eux une position précaire tant qu’ils ne sont pas en état de se défendre. Leur mort est aisément cachée ; et quelquefois ils périssent de la main d’une des femmes, rivales de leur mère. Un usage fréquent parmi les mariniers du Nil est de prendre une femme à Girgeh, par exemple, et une autre à Assouan. Le mari, tour à tour, selon ses affaires, va passer un mois chez elles : il apporte quelques piastres, une ou deux pièces de cotonnade bleue, souvent une petite pacotille que la femme détaillera lorsqu’il sera parti. En échange, elle reçoit les produits du pays et alimente ainsi le commerce de l’autre épouse. Nous avions à