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entre les roches au bord de l’eau, et les violettes parfument le pied des buissons. Les cannes à sucre, hautes en ce lieu de cinq à six mètres, récoltées presque sous nos yeux, jettent déjà des pousses nouvelles. Le tabac, le chanvre, le lin, semés en petits champs, introduisent dans ce gracieux ensemble les variétés de leur feuillage. Parmi les arbres connus, nous remarquons une espèce de palmier qui se plaît surtout dans l’Égypte tropicale ; c’est le doums, qui diffère du dattier par la conformation et par le fruit. Au lieu d’un seul tronc élevé, couronné d’un panache de longues feuilles pointues, le doums a généralement deux branches principales garnies de nombreux rameaux dont l’extrémité porte un bouquet de feuilles assez courtes et plie sous une forte grappe de gousses rougeâtres. Les régions de la Nubie, dont il est parfois le seul ornement, semblent couvertes de gros hérissons immobiles, les dards levés. Ses fruits, gros comme une orange allongée et de forme irrégulière, ont l’aspect, mais non la valeur, de petites noix de coco. L’enveloppe épaisse et filandreuse renferme une partie molle légèrement sucrée et au centre un fort noyau. Le doums donne par an deux récoltes ; les naturels mangent le fruit quand il est frais et l’emploient surtout en médecine.

Femme fellah.

Une suite de gracieux villages : Aboutig, posé sur une éminence entre le Nil et la montagne ; Mékéla, gros bourg, avec un joli port, des maisons construites en pisé, et de grands pigeonniers d’où s’échappent à notre approche des nuées pleines de roucoulements ; El-Réalg, à l’air ancien ; Souaghi, dont le palais ressemble à une prison ; Akmin, la misère et la saleté toutes nues, avec je ne sais quelle splendeur pourtant ; El-Saouitch et Menscheb, infestés de moines coptes ; Elhouia, qui s’attache comme un bracelet d’émail blanc et vert, au pied du Djebel-el-Sérath, relient Syout à Girgeh, la favorite de Méhémet-Ali. Mais aujourd’hui délaissée, mirant dans le Nil qui la dévore ses nombreuses mosquées solitaires, elle languit déshéritée sous le gouvernement d’un simple mamour. Ses habitants se couchent tôt et se lèvent tard ; les portes se ferment à la tombée de la nuit. Lorsque nous arrivâmes il faisait clair de lune, et pénétrant à grand’peine dans la ville silencieuse, nous y rêvâmes mille beautés nocturnes que le jour devait effacer ; c’étaient de grandes ombres clairement dessinées dans les rues tortueuses, et cette lueur idéale des lunes de l’Orient.

Après Girgeh déchue, Farchout sans prétentions, épanouie sous le soleil au milieu de vastes champs de pastèques. C’est de là qu’au printemps descendent vers le Caire et Alexandrie des montagnes de melons et de citrouilles qui encombrent les marchés ; tout le rivage est couvert de larges feuilles et de grosses tiges qui serpentent, et çà et là s’ouvrent les grandes fleurs jaunes et blanches dont le cœur démesurément grossi fera la joie des Fellahs. Un heureux fruit que ces pastèques, admis à toutes les tables, cher à toutes les bouches ! Sa renommée est universelle, et nos troupes, lorsqu’elles parcouraient ces lieux, l’ont nommée Sainte-Pastèque. Eh bien ! dût notre opinion faire scandale, nous faisons peu de cas de ce trésor ; nous n’avons pas encore eu assez soif pour en apprécier le parfum insensible et l’eau sucrée à peine.

Depuis Syout, le Nil veut qu’on le regarde, au moins autant que ses rives. Ses coudes brusques, les efforts qu’il fait pour se dérober aux montagnes qui l’étreignent, varient à chaque instant l’aspect de son cours. Tantôt des troupeaux de buffles viennent boire ses eaux limpides et plongent tout d’un coup ; on ne voit plus que leurs mufles noirs couronnés de plantes aquatiques ; ou bien ce sont des escadres de canards magnifiques, prenant pied par moments sur les îlots de sable. À demi sauvages et presque sans maîtres, ils pullulent aux environs de Farchout ; nous essayâmes en vain d’en tuer quelques