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nous réveilla avant le jour ; mais nous nous ferons rapidement à ce bruit, bientôt devenu familier. Il n’est pas de chemins plus doux qu’un fleuve à l’eau calme, aux rives verdoyantes, sur lequel on avance sans se mouvoir. Nous regardons venir de beaux villages blancs qui jaunissent et noircissent en arrivant, puis ils s’éloignent et reprennent leur blancheur ; le soleil fait disparaître leur misère et leur malpropreté ; il y a partout de grands colombiers carrés autour desquels une multitude de branches sèches, fichées dans les murs, forment des auvents irréguliers où les pigeons se pressent. Un groupe de femmes vêtues de longues chemises bleues, la tête chargée de paquets de linge, les unes maintenant leur fardeau d’une main, d’autres, plus savantes en équilibre, les mains gracieusement posées sur les hanches, sort du village et se dirige vers le lavoir au bord du Nil. Elles viennent par une avenue où les sycomores alternent avec les mimosas, longeant une vieille mosquée en ruine. Parmi elles sont de jeunes filles qui portent sur la tête de grands vases de terre pour puiser de l’eau, et des enfants se roidissant sous une charge aussi grosse qu’eux ; voyez-vous ce tout petit qui descend le talus en relevant sa robe blanche ? C’est un tableau tout fait, mais un de ces paysages où la nature est tout, et qu’animent, si l’on veut, des figures microscopiques. Les lavandières sont près de nous ; le soleil qui décline et touche presque les sommets encore modestes de la chaîne libyque éclaire vivement les figures, et rehausse d’un trait d’or les lignes et les contours. Quelques-unes honteuses d’être vues par des étrangers, relèvent leur vêtement pour cacher leur visage ; mais d’autres, moins scrupuleuses ou moins occupées, laissent voir un front plein, de grands yeux, un nez bien attaché, un air agréable gâté par des lèvres épaisses, un menton lourd et des joues tatouées : presque toutes ont des anneaux de métal au nez, des bracelets, des colliers et des cercles d’or à la cheville ; quelquefois leur tunique bleue est brodée de perles d’acier aux entournures. Un fichu négligemment attaché, et qui cache à demi leurs cheveux noirs, complète leur costume très-simple et si léger que le jour passe au travers. Elles sont toutes bien faites ; leurs jambes sont grêles et élégantes, et leur pied très-petit. C’est ce que nous remarquions, tandis qu’elles foulaient le linge avant de le presser avec les mains. Nos matelots échangèrent avec elles quelques paroles un peu vives, si bien que les plus âgées nous poursuivirent de malédictions. Ces cris gâtèrent notre plaisir ; il nous semblait que des colombes s’étaient soudain changées en corbeaux.

Dame du Caire.

Nul être vivant ne peut glapir plus énergiquement que les femmes fellahs, et nous ne manquerons pas de preuves à l’appui de notre assertion. Elles se distinguèrent toujours dans les quelques disputes survenues entre l’équipage et les riverains. Une fois entre autres, l’altercation se changeait en rixe, et nous fûmes obligés de sortir en armes avec le cawas pour protéger les nôtres ; nous fîmes un prisonnier : aussitôt les femmes de monter sur les toits, arrachant avec leurs ongles la boue de leurs terrasses pour s’en souiller la tête, et de hurler le nom d’Allah mêlé aux lamentations les plus lugubres et les plus grotesques. conduire notre ennemi captif au premier moudir ou cheik ou mamour ; notre clémence épargna au malheureux les coups de bâton qu’il ne méritait pas. Les torts étaient de notre côté ; le vol d’une paire de poulets par un de nos matelots avait causé la rixe ; les maraudeurs avaient été vus par des maçons occupés à réparer un pigeonnier. L’entrepreneur, qui commandait les ouvriers, ne les abandonna pas dans le danger ; il demanda à être fustigé avec le prisonnier, disant qu’un chef est responsable de tout désordre chez ses subordonnés. Le cawas l’approuva pleinement et fit droit à sa demande. La chose se passa en plaisanterie : mais la justice locale n’eût pas