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tenaient les Marcomans de la Bohême, et où vinrent séjourner dix empereurs. C’est à Carnuntum que Marc-Aurèle écrivit ses Pensées, le plus beau livre après l’Évangile, celui qui faisait dire au cardinal Barberino, neveu du pape Urbain VIII : « Mon âme devient plus rouge que ma pourpre au spectacle des vertus de ce gentil. » En 375, les Quades firent de Carnuntum un monceau de ruines ; il ne s’est pas relevé et Vienne hérita de sa fortune. Ce changement était inévitable : tant que le péril venait du Nord, Carnuntum, en face de l’embouchure de March, par où descendaient les barques barbares, et que pouvaient remonter les galères romaines, était parfaitement placé pour interdire le passage du fleuve et servir de base à des opérations offensives ; quand les menaces vinrent de l’Est, Vienne, adossée au Wienerwald, couvrit mieux les pays qui s’étendaient derrière elle. Cette substitution d’une ville à une autre est un exemple frappant des modifications que l’histoire impose à la géographie.

Je note en passant que la March est, depuis les sources du Danube, le premier affluent sur sa rive gauche qui soit navigable[1], tandis qu’il a reçu depuis longtemps à droite l’Inn, l’Ens et la Traun, qui portent bateau. Il n’en pouvait être autrement : les montagnes de la rive gauche n’ayant cessé, depuis la Souabe jusqu’à la Moravie, d’être parallèles au fleuve et d’en serrer de près les rives, tandis que les chaînes de l’autre bord lui étaient perpendiculaires.

Les traces de l’occupation romaine sont si visibles, et les inscriptions, médailles, objets d’art, fragments de toutes sortes, marbres de Styrie, d’Italie, même d’Afrique si nombreux, qu’on peut reconstruire dans sa pensée la vieille ville. À Petronell était la cité proprement dite ; à Deutsch-Altenbourg le camp dont on suit facilement l’enceinte ; enfin, à Hainbourg, la forteresse qui couvrait de ses ouvrages toute la montagne. Des aqueducs romains distribuent encore aux habitants d’aujourd’hui l’eau des sources, et la seule portion d’édifice antique restée debout dans l’archiduché se trouve à Petronell, la Porte des Païens. Quant au Hainbourg d’aujourd’hui, il serait sans importance s’il n’avait une immense fabrique de tabac qui étale sa lourde architecture le long du fleuve et occupe un millier d’ouvriers. Mais les yeux laissent l’usine pour courir au Schlossberg et aux ruines qui le décorent.

Au delà de Hainbourg, le bateau arrive à un défilé que l’on nomme la Porte de Hongrie. Les Petites-Carpathes, qui séparent le bassin de la March de celui du Waag, et la Moravie de la Hongrie, viennent serrer le fleuve que, sur l’autre rive, le Leithagebirge refoule au Nord. Sur la rive gauche, jusque-là basse et nue, les Carpathes forment, au bord du fleuve, une série de promontoires qui portent une tour dont j’ignore le nom ; Theben, avec ses ruines pittoresques et la grande ville de Presbourg.

Theben (Deven).

Ne cherchez pas à Theben, en hongrois Deven, une

    avant de ces deux forteresses, pour garder la ligne du Danube, Lauriacum (Lorch), au nord de Steer, et Carnuntum. On a prétendu reconnaître sur la colonne Trajane la montagne de Hainbourg.

  1. Il l’est ; mais la concurrence du chemin de fer de Vienne à Cracovie, que côtoie le fleuve, empêche la batellerie de s’y développer. Il faudrait d’ailleurs y faire beaucoup de travaux.