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L’armée française fut cependant renvoyée avec beaucoup d’honneur. Dix-neuf années plus tard, l’Autriche fut exposée à un péril plus grand. Deux cent mille musulmans vinrent mettre le siége devant Vienne. Louis XIV eût encore voulu humilier l’empereur en le sauvant. Quatre camps furent échelonnés le long du Rhin, prêts à lancer quatre armées au premier signe de Léopold. Il se garda bien de se jeter aux pieds d’un allié si puissant : il aima mieux se servir de la vaillante épée d’un héros polonais, le roi Jean Sobieski, plus facile à tromper et envers lequel la reconnaissance serait plus légère, l’ingratitude moins dangereuse. Quelques volontaires français accoururent cependant offrir leur courage à l’armée impériale.

C’était le 14 juillet que le grand vizir Kara-Mustapha avait paru devant Vienne ; deux mois après il y était encore. Sûr de sa proie, il la ménageait pour n’en point altérer la valeur et ne rien perdre des richesses qu’il convoitait. On annonce l’approche d’une armée polonaise et de Sobieski ; Mustapha en rit. Le 12 septembre la bataille s’engage ; à cinq heures de l’après-midi, rien n’était décidé. Le vizir s’en inquiète peu. « Assis près de son cheval caparaçonné d’or, il aspirait tranquillement le frais du soir, et abrité par une tente cramoisie contre les feux du soleil couchant, il prenait paisiblement le café avec ses deux fils. » Un coup de canon, parti grâce aux gants et à la perruque d’un officier français qui suppléa par là aux bourres épuisées, trouble cette sérénité : il vient de la hauteur qui domine la tente vizirale. Presque aussitôt des Français commandés par le comte de Maligny apparaissent dans la redoute qui défendait les quartiers musulmans et l’emportent. Sobieski, remarquable à son aigrette blanche, à son arc, à son carquois d’or, à sa lance royale et à son bouclier homérique, force de son côté les lignes dans le même temps que ses hussards descendent et remontent au galop un ravin où l’infanterie aurait hésité, et coupent en deux le corps de bataille de Mustapha. Celui-ci demande conseil à son interprète, qui répond : « Le ciel se couvre, voyez si Dieu n’est pas contre nous. » Mustapha n’en veut pas entendre davantage et s’enfuit plus effrayé que ses soldats, qui en se répétant le nom de Sobieski s’écrient : « Par Allah, il est avec eux ! » L’étendard du Prophète oublié par le vizir fut envoyé au pape. Le roi de Pologne, maître du camp et des richesses de Mustapha, défendit le pillage, maintint la discipline dans ses troupes de peur d’une surprise, et au lieu de s’étendre sur les tapis somptueux du vizir, alla s’endormir au pied d’un arbre.

L’empereur, délivré sans avoir même paru sur le champ de bataille, rassembla son conseil pour décider avec quel cérémonial il recevrait Sobieski, simple roi et roi électif. « À bras ouverts, il a sauvé l’empire ! » s’écria le duc de Lorraine. Le brave duc oubliait l’étiquette ; les ministres s’en souvinrent, et pour éviter toute effusion dangereuse, décidèrent que l’entrevue aurait lieu à cheval. Elle se passa en rase campagne, près du village de Schwechat, le premier que nous rencontrons sur le bord du Danube, au sortir de Vienne. Léopold, avec un ton froid et hautain, répéta ou plutôt articula à peine quelques paroles de gratitude soufflées par le duc de Lorraine : « Mon frère, répondit Sobieski, je suis bien aise de vous avoir rendu ce petit service ; » puis, présentant le prince royal Jacques, il ajouta : « Voilà mon fils, je l’élève pour le service de la Chrétienté. » Léopold demeura immobile et muet. Moins d’un siècle après, en 1773, un de ses héritiers, Joseph II, répondait pour lui : il signifiait au successeur de Sobieski que l’Autriche allait prendre sa part des dépouilles sanglantes de la Pologne. C’était déjà le système de reconnaissance du prince de Schwartzenberg. Mais je ne regrette pas que mon pays ne puisse se vanter « d’avoir étonné le monde par la grandeur de son ingratitude. » Malheur aux princes qui ne croient pas faites pour eux les simples vertus des particuliers.

Après Hainbourg.

Petronell (mille habitants), Deutsch-Altenbourg (huit cents) et Hainbourg (quatre mille) s’étendent sur l’espace que couvrait à lui tout seul l’ancien Carnuntum, la grande forteresse romaine sur le Danube, la station de ses flottes pour la garde du fleuve, le point d’où les légions surveillaient les Quades de la Moravie et les Jazyges de la Theiss, comme de Lauriacum[1] elles con-

  1. Au delà des Alpes, Rome avait fondé pour garder les approches des montagnes et de l’Italie du côté du Noricum (Autriche), Salzbourg ; du côté de la Pannonie (Hongrie), Klagenfurth, et en