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des motifs de décoration dans les constructions militaires du moyen âge. La forteresse féodale, de terrible souvenir, ne sert plus qu’aux combinaisons des architectes : toute cheminée, ici, a des créneaux ; tout embarcadère des tours, des donjons et des mâchicoulis. Ainsi les enfants jouent avec les casques sonores, les grandes cuirasses et les glaives rouillés de leurs pères. Mais une chose avec laquelle on joue de cette sorte est bien près de sa fin.

Dans notre convoi, rien de particulier, sauf le conducteur qui est pour moi rempli d’attentions que je ne comprends pas. Il s’offre à me mettre seul dans un wagon et de n’y laisser monter personne ; il fait toutes mes commissions, m’achète des cigares, des vivres, des journaux, et me renseigne sur le paysage. Il m’apprend qu’il est Milanais. Alors c’est sa reconnaissance patriotique pour la France qu’il témoigne à sa manière. « En ce cas, lui dis-je, Eviva l’Italia !Adesso, nein, se hâta-t-il de répondre, dans son dialecte moitié italien, moitié allemand, Eviva l’Austria ! » Je fus étonné de ce dévouement. Mais la conversation avait lieu à la portière ; en me retournant je vis une figure renfrognée et très-moustachue ; je me dis qu’elle était cause de cet eviva autrichien, et je plaignis d’autant plus le pauvre diable.

Abbaye de Mœlk.

Je venais de commettre une mauvaise action. J’étais en Autriche et j’avais parlé de l’Italie à un employé italien qui vivait de l’Autriche. J’en fus puni. Arrivé à Vienne, mon conducteur me demanda la buona mano. Toutes ses complaisances tendaient là. Neuf heures durant il s’était fait mon domestique en vue d’attraper quelques kreutzers ou un florin ! Mon patriote milanais, forcé de servir le Tedesco, n’était qu’un lazzarone mendiant !


XXVII.

VIENNE.

M. de Metternich botaniste. — E pure si muove. — Le Prater et le bois de Boulogne. — La nuit officielle. — L’Opéra. — La moralité viennoise et la littérature autrichienne. — Un sac vide ne peut se tenir debout.

Me voilà donc « dans la cité impériale, » comme les Viennois appellent leur ville, en ajoutant : « Il n’y a qu’une Vienne au monde. » Le chauvinisme est de tous les pays et je le respecte partout.

Me voilà dans la capitale du gouvernement le plus absolu[1], de la police la plus vigilante et la plus curieuse qu’il y ait eu au monde ; une police qui mettait l’œil et la main partout ; qui entendait ce que vous murmuriez tout bas à l’oreille de votre fiancée, lisait par-dessus votre épaule la lettre apportée par votre plus cher ami ; regardait écrire, regardait penser, même les ambassadeurs, ce qui, pour plus d’une raison, est pourtant bien difficile.

Un jour, raconte-t-on, le ministre d’Angleterre fait à son cachet une très-légère modification. La poste, comme d’habitude, ouvre la lettre, puis recachette avec l’ancien sceau. À quelque temps de là, l’ambassadeur

  1. J’étais à Vienne au mois d’août 1860, par conséquent avant le diplôme du 30 octobre 1860 et la constitution octroyée le 26 février 1861.