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bonheur qu’au-dessous d’Ottensheim, village coquettement assis sur une colline qu’on découvre de loin, je me vois emporté par notre bateau dans une vallée moins grandiose que celle que nous avons quittée à Neuhaus, mais belle encore avec ses roches granitiques et sa végétation puissante, gracieuse de forme et semée d’habitations de plaisance qui annoncent l’approche de la plus grande ville que j’aie encore vue sur le Danube, Lintz[1].

Dans ce village d’Ottensheim naquit un triste empereur, Othon IV de Brunswick, notre vaincu de Bouvines. Le livre allemand où je trouve cette indication m’apprend en outre qu’une maison, sur le marché, annonce deux fois aux yeux des passants ce grand événement par un tableau et par une inscription portant qu’Othon naquit en ce lieu en 1208. À cette date, Othon avait trente-trois ans au moins, et il venait, cette année même, de faire assassiner, ou l’on avait assassiné pour lui, son compétiteur à l’empire, Philippe de Souabe. Pour être un village autrichien, on n’est pas dispensé de l’exactitude allemande.

Encore quelques tours de roues et nous voila à Lintz.

Petite barque du Danube.

Cette fois ce n’est plus comme à Strasbourg, au bruit du tonnerre, mais au bruit du canon que j’entre dans cette grande forteresse de l’Autriche. Cependant ne vous étonnez pas trop, il s’agit d’un canon bien pacifique qui est à bord de notre dampschiff et qu’un mousse tire trois fois contre la rive pour nous faire entendre un magnifique écho.


XXV

DE LINTZ À VIENNE PAR LE DANUBE.

Le losange des montagnes de Bohême. — Importance militaire de Lintz. Le char d’Indra. Le Strudel et le Wirbel. — Les caves de l’abbaye de Mœlk.

Toute la Bohême est enveloppée d’un formidable rempart de montagnes en figure de losange dont les quatre angles regardent les quatre points cardinaux. Ces angles, au lieu d’être, comme dans les bastions de nos ingénieurs, le point où se concentre la force de tout l’ouvrage, est celui où l’assaut a été le plus facilement donné par la nature et par les hommes. Ainsi celui du nord a été emporté par l’Elbe qui s’est frayé un passage au travers des Riesengebirge, malgré leur nom terrible[2] et qui entraîne par là, avec lui, toutes les eaux de la Bohême. À celui du sud, ce sont les hommes qui, au-dessous de Budweis, ont fait passer une route entre le Bohmerwald qui finit et les monts de Moravie qui commencent. Cette route, qui est aussi celle de Prague et de Dresde, aboutit au Danube, en face même de Lintz où arrive, de l’autre côté du fleuve, la route de Salzbourg et du Tyrol. D’Inspruck à Prague s’étend donc comme le chemin de ronde de l’empire autrichien le long de sa frontière occidentale. Or, ce chemin coupe à Lintz le Danube, qui est la grande ligne militaire et commerciale de l’Autriche. Là devait se trouver une ville importante. Elle y est ; l’histoire a répondu à l’appel de la géographie. Placé au milieu de la ligne de défense, et se trouvant être à la fois la porte de la Bohême par le sud, celle de l’archiduché par l’ouest, Lintz était destiné à jouer un grand rôle militaire. Ainsi l’occupation de cette ville par les Franco-Bavarois, dans la guerre de la succession d’Autriche, leur permit d’entrer même à Prague. Ils auraient aussi bien pu aller à Vienne. La reprise de Lintz par les Autrichiens empêcha au contraire les alliés de tenir en Bohême et ouvrit la Bavière aux Talpaches et aux Pandours de Marie-Thérèse. Comme une des

  1. Lintz a vingt-huit mille habitants sans la garnison.
  2. Montagnes des Géants. Leur altitude ne leur permet pourtant pas d’avoir des glaciers. Leur cime culminante, la Riesenkoppe, n’a que cinq mille pieds ; il lui en faudrait mille de plus pour avoir des neiges perpétuelles.