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Avant Lintz.


DE PARIS À BUCHAREST,

CAUSERIES GÉOGRAPHIQUES[1].


PAR M. V. DURUY.
1860. TEXTE ET DESSIN INÉDITS.




XXIV

DE PASSAU À LINTZ (suite).

L’entrée en Autriche. — Pourquoi se trouve-t-il moins de ruines féodales sur le Danube que sur le Rhin. — La Traunstein et Louis XVI.

Cependant nous avançions à grands tours de roues, mais le fleuve faisait de longs circuits, comme s’il était peu pressé de devenir Autrichien, et embrassait de ses flots quelques îles dont l’une s’appelle l’île aux Jésuites et l’autre l’île aux Soldats, Jésuitenau et Soldatenau deux sentinelles qui annoncent bien l’empire où nous allions entrer.

La frontière ne commence pas des deux côtés du Danube au même point. La rive gauche reste bavaroise pendant quelques lieues au-dessous de Passau, jusqu’à l’embouchure du Dädelsbach, en face du village d’Engelhartzell. Mais au sortir de Passau la rive droite devient autrichienne. Je vois pour la première fois les couleurs jaune et noire, et l’aigle dont les serres ont été si souvent sanglantes : je suis en Autriche. J’éprouve un serrement de cœur involontaire à respirer pour la première fois l’air de ce pays ; et toute l’histoire de cette maison de Habsbourg, qui a été si fatale au monde et qui lui a si peu donné, me revient à l’esprit. Quelle a été sa part dans la civilisation générale ? Comme l’arbre est jugé par les fruits qu’il porte, les empires le sont par les résultats qu’ils donnent. Où sont les grands hommes de l’Autriche, ses poëtes, ses artistes, ses penseurs ? Mais que de sang je découvre partout où l’aigle à deux têtes a passé, en Bohême, chez les Madgyares, en Italie ! Et pourtant le soleil est doux, l’air tiède, la nature magnifique et paisible. À un détour du fleuve nous entrons comme en un lac immense bordé de montagnes aux capricieux contours, et, quelques encablures plus loin, il nous est impossible de découvrir par où nous sommes venus, pas plus que nous ne voyons par où il sera possible de sortir. La terre est déserte et belle comme les eaux : point de villages, à peine de loin en loin une métairie, un moulin, une ruine, et au-dessus de nos têtes l’azur du ciel. Nous sommes seuls dans le silence d’une majestueuse nature, et je renvoie bien loin les souvenirs importuns de l’histoire.

Les Pyrenées, les Alpes ont des sites plus grandioses,

  1. Suite. — Voy. t. III, p. 337, 353, 369 ; t. V, p. 193, 209 ; t. VI, p. 177, 193, et t. VII, p. 145 et la note 2.