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paraissent fort in discrètes. Lorsque enfin vous avez satisfait à toutes ces injonctions, s’il vous plaît de partir, ce n’est pas fini. Votre passe-port, embelli d’un douzième parafe et d’une douzième tête d’aigle, n’est qu’une pièce justificative ; il vous faut de plus un petit billet spécial qui fixe le jour de votre départ, le lieu où vous allez. Sans cette pièce officielle, impossible de retenir une place soit à la poste, soit sur un chemin de fer ou sur un bateau à vapeur. » Voilà à quoi j’échappais ; je remercie le ciel de n’être venu en Autriche que depuis ce bienheureux jour du 16 mars 1857, que j’inscrivis sur mes tablettes en grandes majuscules. J’ai, en effet, traversé l’empire de part en part, et l’on ne m’a demandé mon passe-port que deux fois, à la frontière et à Vienne.

Enfin tout se termine, me voilà à bord. La lune a pâli : le jour est venu, et le soleil va bientôt se montrer au-dessus des montagnes ; nous partons. Dans quatorze heures nous serons à Lintz.

Au-dessous de Ratisbonne, les collines qui vont rejoindre le Bohmerwald sont toujours en vue. À droite, une plaine fertile qui n’a de beauté que pour son propriétaire ; à gauche, beaucoup moins de revenus, mais de molles ondulations de terrains qui portent des forêts, des villages, et envoient de temps en temps un promontoire dans le fleuve. Sur une de ces hauteurs, qui domine le village de Donaustauf, j’aperçois la résidence d’été des princes de Thurr et Taxis, et les restes d’un vieux château des évêques de Ratisbonne. C’est Bernard de Weimar qui, durant la guerre de Trente ans, en éventra les tours avec son canon pendant un siége de deux mois. Il est encore dans l’état où les Suédois l’ont laissé ; seulement ces ruines sont à présent soignées comme des palais tout neufs ; des sentiers ombreux y conduisent, et de belles plantations y ménagent les points de vue.

La salle de torture, à Ratisbonne (voy. p. 149).

Sachons gré aux Allemands de nous avoir donné l’exemple de ce respect des choses du passé. Ils mettent beaucoup de coquetterie à décorer leurs ruines, et aident la nature à y semer ses parfums et ses fleurs. Parfois une harpe éolienne est suspendue entre les créneaux, et le vent qui passe sur ses cordes sonores les fait vibrer harmonieusement. Au milieu de la nature morte, derrière les arbres de la forêt ou sur les rochers de la montagne, ils aiment à retrouver les souvenirs de l’histoire, les vagues rêveries de l’imagination et les poétiques émotions du cœur. Ils ont raison, il faut tout embellir et jouer, même avec la mort. Quand Mirabeau sentit venir l’heure suprême, il fit ouvrir ses fenêtres pour recevoir en plein la lumière ; il demanda des fleurs, de la musique, des parfums, pour communier une dernière fois avec la nature et entrer doucement dans la mort, en dorant comme d’un dernier rayon de soleil couchant les austères pensées que la sombre fiancée éveille dans l’âme défiante.

Tout près de Donaustauf, sur le Salvatorberg, le roi Louis a fait bâtir la Walhalla « la salle des élus ». C’est, il est vrai, un monument de haine contre nous. Le roi en posa à dessein la première pierre le 18 octobre 1830, anniversaire de notre grande défaite à Leipzig, comme pour réveiller les colères de 1813 et en même temps protester contre notre révolution de juillet 1830. Il en fit l’inauguration douze ans après, le même jour, alors que l’Allemagne était toute joyeuse encore de la petite honte