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officiel en refusant de contempler avec la vénération nécessaire les vieilles friperies de la salle de la diète. Je me fais conduire à la salle de torture, basse, sombre, couverte d’une voûte épaisse que les cris ne pouvaient percer, et où l’on conserve tous les engins dont le moyen âge usait pour obliger un honnête homme à s’avouer coupable.

Un catalogue décrit tout en détail. Voici l’âne espagnol, sorte de pupitre à musique porté sur des tréteaux solides ; on y mettait le patient et cheval, et à ses pieds on attachait deux grosses et lourdes pierres. Voici le lit de cuir avec son traversin garni de clous aigus, mais courts, qu’on roulait sous les reins, le corps de l’accusé étant tenu bien développé par des cordes attachées aux mains et aux pieds. Et la potence qui tirait à la fois les bras en haut et les pieds en bas ; et les tenailles pour déchirer la chair ; et les marteaux pour enfoncer les coins entre les chevilles des deux pieds étroitement serrés par des chaînes ; et enfin tout ce qu’a pu imaginer l’esprit de ces temps où, malgré la toute-puissance du clergé et la foi des peuples, Satan régnait bien plus que le Christ. Dans le fauteuil s’asseyait tranquillement le médecin, pour arrêter le supplice juste au point au delà duquel la douleur aurait tué le patient. Derrière la grille en bois siégeait le juge, pour recueillir les aveux que la torture arrachait. Mais pourquoi cette grille entre le juge inique et la victime ? Était-ce pour empêcher que le sang ne rejaillît jusqu’à lui ?

Tout près de cette salle se trouve la prison du comte Scheffgotsch. C’est un affreux cachot, sans jour, sans air, de six pieds carrés tout au plus, et que le curieux ne visite pas sans torture, car la porte, ouverte dans un mur très-épais, n’est haute que de deux pieds et demi. Voici ce que j’ai copié sur le catalogue manuscrit dont j’ai parlé et qui en regard du texte allemand porte une traduction française :

« Prison du comte Scheffgotsch qui fut en concert avec Wallenstein. Retenu quinze semaines, il fut exécuté chez la Croix-d’or, où est la fontaine. On y trouve une ouverture pour lui donner sa nourriture, une autre au plafond pour épier son monologue, et une commodité. »

À la brasserie de l’hôpital, à Ratisbonne (voy. p. 146).

En vérité, ils auraient bien dû laisser cela en allemand. Remarquez que Ratisbonne était ville impériale, c’est-à-dire république, ce qui n’empêchait pas qu’on n’y torturât bel et bien comme dans les châteaux des grands seigneurs. En ce temps là nobles et vilains, dès qu’ils avaient la force en usaient avec cruauté.

C’étaient les deux jeunes filles du concierge qui m’avaient conduit en cette affreuse prison. L’une portait le flambeau, l’autre donnait les explications, et parfois, comme l’héroïne de Jules Janin, prenait la place du patient pour faire comprendre le jeu des abominables machines. Aujourd’hui de gracieux enfants sourient au milieu de ces horreurs, et ce sol qui a tant bu de sang, ces murs imprégnés encore de malédictions, ne retentissent plus que du bruit des pas des curieux. Ah ! que la justice vient lentement, et que l’humanité, elle aussi, a longtemps porté sa croix dans la voie douloureuse, via dolorosa !


XXII

DE RATISBONNE À PASSAU.

Les ruines et la sombre fiancée. — Un paysan du Danube. — Straubing, Agnès Bernauer et une reine d’Égypte. — Les pèlerins du Danube et Satan. — Hohenliden. — Le pont du Dampschiff.

En retournant a l’hôtel pour y faire cette fois une bonne nuit, je me disais : « Décidément, j’ai perdu ma journée… » et vous, mon cher ami, vous faites comme moi, en examinant le maigre butin que j’ai emporté de Ratisbonne.

Comme on m’en avait averti, avant quatre heures du matin, un bourreau de garçon d’hôtel me réveilla pour partir à cinq. Le beau temps était revenu, la lune était magnifique et les étoiles brillaient encore. J’avais compté économiser une demi-heure sur le temps qu’on me laissait, pour faire une dernière course au pont et dans le grand faubourg de Stadt-am-Hof ; mais comme il est bien difficile d’aller vite avec des gens que l’on ne comprend guère et qui vous entendent encore moins, je perds mon heure en allées et venues du bureau de police au bateau. Ce n’est pourtant pas qu’on n’ait bien simplifié les choses. Jusqu’au 16 mars 1857, il était presque aussi difficile d’entrer et de circuler en Autriche que dans le Céleste Empire. Voyez plutôt l’énumération des formalités alors requises :

« Il faut, disait M. Marmier (Du Rhin au Nil), dans chaque ville qu’un nouveau visa soit appliqué à votre passe-port ; dans chaque ville encore, on vous présente, dès votre entrée à l’hôtel, une pancarte en trois langues qui renferme un long interrogatoire. La police veut savoir non-seulement votre nom, votre état, mais quelle est votre religion, et si vous êtes veuf, célibataire ou marié, deux questions qui, aux yeux de nos compatriotes,