DE PARIS À BUCHAREST,
CAUSERIES GÉOGRAPHIQUES[1]
XXI
À RATISBONNE.
Vous vous souvenez, mon cher ami, que j’étais arrivé tard à Ratisbonne ; je l’avais traversée à la lueur des becs de gaz et à la clarté des étoiles, ce qui ne m’avait pourtant pas empêché d’y voir bon nombre de choses. Je m’étais encore attardé longtemps sur le pont du Danube à contempler le fleuve dont la lune argentait les flots, si bien qu’il était minuit quand j’arrivai à mon Dampfschiffshof, hôtel d’autrefois, aux salles basses et enfumées, qui fut sans doute en son temps une auberge fameuse, et qui pour le nôtre, tant le luxe et les Anglais nous ont gâtés, est presque un bouge.
Je demande à quelle heure partait le bateau ; on me répond à cinq, que les formalités seront longues, et qu’il est prudent de se faire éveiller avant quatre. Je regarde le lit, où je retrouve les fameuses serviettes qui servent de draps et les matelas gonflés à la tête où l’on serait fort bien assis pour causer, mais où l’on est fort mal couché pour dormir, et je me décide à m’installer dans un fauteuil, un encrier à droite, une tasse de café à gauche, pour vous conter ce que j’avais vu depuis Munich. C’est ainsi que j’ai souvent vécu depuis mon départ, ne fermant pas les yeux, en dix fois, aussi longtemps qu’une jolie femme en une seule ; courant le jour pour voir, écrivant la nuit pour me souvenir, et dormant à la grâce de Dieu. Voilà ce qu’on appelle un voyage d’agrément…
Mais j’avais compté sans mes fatigues de Munich,