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Port-Louis du côté du Camp Malabar, qui ressemble à une petite ville de Golconde ou de Mysore, et est habité par une population d’ouvriers laborieux et d’honnêtes commerçants dont plusieurs ont beaucoup d’aisance.

Tout y rappelle les usages, le costume et le caractère asiatiques. Le dimanche, on y voit les femmes malabares[1] dans leur plus grande parure : elles se chargent les doigts des pieds et des mains de beaux anneaux en cuivre, elles suspendent à la narine gauche et aux oreilles des boucles ornées de petits coquillages. Elles se couvrent d’un voile ou châle qui tombe jusqu’aux pieds. Il n’y en a pas un grand nombre de jolies, mais en général elles ont beaucoup d’expression et de mobilité dans la physionomie ; on finit par s’habituer à leur teint olivâtre. Çà et là, les Indiens se réunissent en groupes animés, et fument le gourgouri (espèce de houka, formé par une noix de coco où se trouve de l’eau à travers laquelle passe la fumée qu’on respire par un petit tube). Les boutiques du Camp Malabar rappellent le Temple de Paris ; on y trouve toute espèce de vieux habits, des mouchoirs et des foulards dont les couleurs bariolées forment l’aspect le plus pittoresque.

Les Indiens célèbrent solennellement tous les ans dans ce camp une grande fête à laquelle ils attachent beaucoup d’importance, et ils en font les préparatifs longtemps à l’avance. Ils fabriquent avec du bambou une grande pagode élevée de plusieurs étages et surmontée d’une boule semblable à celles des églises russes, puis la décorent avec des papiers de toutes les couleurs : c’est ce qu’ils appellent le ghoun. Cette cérémonie, nommée le Yamsé, dure onze jours.

Vue de la montagne des Bambous.

Les Malabars mahométans sont de la secte des schias, comme les Persans et les musulmans de l’Inde. Ils regardent Ali comme le seul légitime successeur de Mahomet, et ont en horreur les trois califes Aboubekre, Othman et Omar. Tous les ans, à la pleine lune de mars, ils célèbrent la mort funeste d’Hoceïn, second fils d’Ali, lequel fut tué à la bataille de Kerbéla en défendant les droits de son père ; et la manière dont ils témoignent leur douleur se rapproche beaucoup des cérémonies qui se pratiquent à Ispahan. Les Malabars, comme les autres schias, font précéder la cérémonie de dix jours de jeunes et d’expiations ; et le jour de la pleine lune ils se rendent dans leur ghoun, où se trouve le cénotaphe d’Hoceïn. Ils font une procession solennelle. Le cortége est ouvert par des hommes qui ont les bras et la figure barbouillés de diverses couleurs, et qui, armés d’épées et de sabres, sautent en criant : Yamsé ! yamsé ! (Ce mot paraît être une corruption du nom d’Hoceïn, précédé de l’interjection Ya qui signifie ho !) Un de ces fanatiques tient

  1. Aux îles Maurice et Bourbon, on appelle généralement Malabars tous les Indiens, de quelque partie de l’Inde qu’ils soient.