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tend le bruit d’un moulin à scier que met en mouvement une branche de la rivière des Créoles.

Le sol des plaines Wilhems, que je dus traverser pour rentrer au Port-Louis, est bien plus beau que celui du Grand-Port ; la verdure y est plus luxuriante et la température plus douce : aussi y trouve-t-on un grand nombre de maisons de campagne, et c’est le lieu choisi par les habitants riches pour passer agréablement les mois caniculaires de décembre, janvier, février et mars.


VI

Moka. — L’ascension du Pouce. — Le Réduit. — Le canton des Vakois.

Pour explorer le quartier de Moka que je ne connaissais pas encore, je résolus d’abandonner les grandes routes et de faire l’ascension du Pouce. Je partis de grand matin avec deux compagnons, et me rendis au delà du monument Malartic dans ce qu’on appelle l’enfoncement du Pouce, vaste cirque dont les rochers d’une lave très-dure ont quelque analogie avec les gradins d’un amphithéâtre. Le chemin, assez doux d’abord, devient ensuite très-escarpé, et la marche est de plus en plus fatigante jusqu’au sommet de la montagne. Quoiqu’on soit protégé contre le vent par une haie d’arbustes et quelques arbres de forêt, on arrive avec plaisir sur un immense plateau dont le centre est occupé par un mamelon isolé, ressemblant à un pouce et couvert de bois qu’habitent un grand nombre de singes. De ce point la vue s’étend de tous les côtés et embrasse une grande partie de l’île : on aperçoit à gauche le canton des Pailles, la petite rivière Moka, et les plaines Wilhems ; à droite les Pamplemousses, la baie du Tombeau ; et au bas de la ville, la rade, les navires ressemblant à des coques de noix, et le champ de Mars pareil a un châle vert. Un ruisseau limpide coule sur le plateau du Pouce, et répand tout autour une fraîcheur qui invite beaucoup de créoles à y venir passer le dimanche. D’ordinaire, ils partent le matin avec des provisions de bouche nécessaires, et l’herbe du voisinage est la table improvisée sur laquelle on sert le déjeuner.

Vue de la grande baie Mapou. — Dessin de M. Erny d’après nature.

Un sentier assez roide qui descend du côté de Moka est pavé de pierres provenant des rochers qu’on a été obligé de faire sauter par la mine. Ce chemin a été taillé dans le roc par les Français, dans l’intention d’ouvrir des communications plus promptes avec le côté opposé de l’île. Je remarque çà et là de très-grands figuiers, dont les branches, semblables à des lianes, forment des buissons épais, et dont l’écorce, quand on la perce avec un couteau, rend un suc blanc et laiteux.

En sortant des bois, nous traversons la jolie rivière de Moka, garnie de jamlongues au feuillage argenté, et nous continuons, à travers une allée de vakois, jusqu’à l’endroit appelé Crève-Cœur. Arrivés là, nous gravissons un des côtés de la montagne de Pieter-Boot, qui se présente comme un immense pain de sucre (un coutelier, natif d’Auxonne, Pierre Peuthé, arbora un drapeau au sommet en 1690) ; puis nous nous arrêtons pour contempler toute la partie nord de l’île qui se dessine à nos pieds comme un vaste panorama. Dans la plaine à notre droite se détachent deux pitons coniques appelés les Deux-Mamelles de Crève-Cœur.

Après avoir visité la jolie église de Moka, bâtie près d’une petite rivière très-encaissée, je quitte mes deux compagnons et je me rends à cheval dans le canton des Vakois.

Je rentre dans le quartier des plaines Wilhems, et la route me conduit d’abord près du Réduit, qui est la maison de campagne des gouverneurs de l’île. C’est une charmante habitation précédée d’une pelouse sur laquelle un multipliant étend ses branches, et entourée