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France, M. Feialfay en prévint le gouverneur, le général Decaen, et fut, ajoute-t-on, emprisonné pour avoir donné de fausses nouvelles et répandu l’alarme dans la colonie. Une autre fois, il crut voir deux navires joints ensemble, et un navire à quatre mâts ; quelques jours après, un schooner américain, garni de quatre mâts, arriva au Port-Louis. Il signala aussi, à quatre cents milles de l’île, un navire de la Compagnie des Indes complétement démâté, et le fait fut reconnu vrai. On pourrait citer plusieurs autres exemples aussi singuliers. Il prétendit pouvoir enseigner son art, et on dit qu’une dame essaya de l’apprendre. Il alla à Bourbon et en Europe, mais ne put exercer son étonnante faculté. On le voyait sur sa mule, couvert d’un habillement extraordinaire, se rendre tous les jours chez l’officier du port, pour lui donner sur les navires en vue des renseignements qui étaient presque toujours d’une grande exactitude. M. Feialfay était pensionnaire du Trésor[1].

Au bas de la montagne des Signaux, une longue allée de filaos[2] conduit au cimetière divisé en plusieurs compartiments et entouré d’un mur ; un autre mur sépare les blancs des noirs, persistance d’un préjugé qui semble vouloir se donner pour complice la justice divine elle-même et protester contre l’égalité devant la mort ! De loin, on croirait se diriger vers un jardin, et les dattiers les cocotiers et les multipliants complètent l’illusion. Une fois entré, on aperçoit les tombes, mais comme ensevelies dans les nids de fleurs, et çà et là on s’arrête devant quelque touchante inscription, ou devant un bouquet, dernier souvenir des vivants à ceux qui ne sont plus. Les Chinois et les protestants ont leur cimetière particulier ; celui des Malais est entouré d’aloès. À quelques minutes du cimetière, en longeant la plage, on voit d’immenses salines, et un peu plus loin, un endroit où l’on peut prendre des bains de mer, car l’eau y est si basse que les requins ne peuvent y arriver. On a bâti en cet endroit quelques cahutes, et plus d’une dame créole y vient le matin se donner le plaisir de la natation et le déplaisir d’avaler parfois l’onde amère.

Une rue dans le camp Malabar, au Port-Louis.

En rentrant en ville par le pont Bourgeois, on voit d’abord, près du Jardin de la Compagnie, la maison de M. Foucqueraux, homme de goût, ami des arts, et qui possède un véritable musée. Plus loin une fontaine qui rappelle le nom de son fondateur, M. Liénard, noble cœur, qui ne vécut que pour le bien et pour la gloire de

  1. L’amiral Dumont d’Urville a consacré à M. Feialfay plusieurs pages du dernier volume de sa relation du Voyage de l’Astrolabe. Nous devons malheureusement ajouter que les facultés de vision du bon vieux créole ont trouvé l’illustre marin plus sceptique que convaincu.
  2. Le filao est le saule pleureur des colonies ; c’est un arbre droit, aux branches longues et flexibles, et qui, secoué par le vent, semble se plaindre et se lamenter.