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1 200 soldats fort mal disciplinés. Ils n’avaient pas été payés depuis treize mois, lors de mon arrivée, ce qui avait amené la désertion de trois compagnies. Quand on les paye, c’est en papier monnaie, qui perd entre les mains des soldats 80 pour 100 de sa valeur. La Turquie est la même partout.

Je partis d’Hodeidah le 28 octobre pour me rendre à Massouah, port de la côte Abyssinienne. Je touchai d’abord à l’île pittoresque d’Houakel, où je trouvai une belle végétation, de l’eau douce et un port sûr. Les habitants sont tous pêcheurs de perles ou pasteurs.

Le 29, j’arrivai à Massouah, bâtie sur une île basse formée de coraux. C’est une mauvaise bourgade de 2 000 habitants, recrutés parmi tout ce que l’Arabie, l’Égypte, la Turquie et l’Abyssinie ont de plus dégradé et de plus corrompu.

Devant Massouah se trouve l’archipel de Dalhac ; sur la côte est le village d’Arkiko, et à 10 milles au sud les ruines de l’ancienne colonie d’Adulis[1].

Je séjournai près d’un mois à Massouah où mon frère avait déjà un agent, et j’étudiai comme dans les divers points précédemment visités, les ressources commerciales de la place. Massouah est surtout très-bien située comme port de transit des produits de l’Abyssinie. J’entrepris de faire une excursion dans l’intérieur, mais au bout de cinq jours je fus forcé de revenir sur mes pas. Les routes étaient infestées de brigands et de voleurs. Les naturels Danakiles, ennemis jurés des Turcs, leur avaient déclaré la guerre, et le moment était mal choisi pour un voyage d’exploration.

Vue des rochers d’Aden. — Dessin de A. de Bar d’après un dessin pris sur les lieux.

Le 26 décembre je quittai Massouah faisant voile vers Aden. Trois jours après mon départ le temps devint affreux, la tempête se déchaîna ; je fus obligé la nuit de menacer les matelots de leur brûler la cervelle s’ils n’exécutaient pas les ordres du patron.

Le 1er  janvier je mouillai devant Hodeidah où je fus retenu quelques jours par des vents contraires. Je trouvai la ville en grand émoi. Les marchands embarquaient précipitamment leur argent et leurs denrées ; Mahamoud mettait son sérail en lieu sûr, et faisait réparer tant bien que mal les fortifications. Quelle était la cause de toute cette peur ? Le grand shériff de la Mecque qui, irrité contre les Turcs, venait mettre le siége devant la ville après avoir saccagé Djedda et ravagé tout le pays jusqu’à Hodeidah.

Le pacha, malgré ses préoccupations, me reçut avec sa politesse accoutumée, m’invita à dîner, et me fit visiter ses écuries. Deux de ses chevaux, estimés chacun

  1. L’Angleterre, en octobre 1861, a acheté les îles Dahlac pour empêcher la France de s’établir à Adulis, que nous avions acquise de l’Abyssinie dans le but d’y fonder un port de relâche et de ravitaillement.