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des premiers chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem, dont les successeurs ne conservèrent que le caractère belliqueux et l’antique heroïsme. De modestes frères servants avaient pris au chevet des infirmes la place des chevaliers de l’Hôpital. Mais si, occupés de trop hauts intérêts et trop fiers pour descendre à ces humbles fonctions, ils les avaient confiées aux mains d’obscurs infirmiers, du moins ils se souvenaient assez de leur origine pour ne pas oublier les souffrants et les pauvres, et ils avaient élevé cet hospice, vieux symbole de leur confrérie.

Tout près de là, dans le curieux bazar où s’enchevêtrent actuellement les boutiques turques ou juives, on voit encore un monument de peu d’étendue, mais qui n’est pas moins remarquable que les autres. Il est percé de trois grandes fenêtres carrées, encadrées de feuilles d’acanthe, avec des croisillons fleurdelisés, et surmonté de gargouilles qui s’allongent sous la forme de dragons ou de crocodiles. On y monte par un large escalier de pierre, en face duquel est un superbe cadre à colonnettes torses, dans lequel sont sculptés des guerriers armés de toutes pièces, supportant l’écusson blasonné d’Émery d’Amboise. Sur la terrasse qui précède la façade s’ouvre une porte dont les chambranles sont ornés de sculptures au milieu desquelles serpentent les flammes emblématiques de l’enfer. C’est l’ancien Châtelet. C’est là que siégeait l’ancien justicier de l’ordre. C’est dans la salle où conduit cette porte d’aspect sinistre que fut condamné à être écartelé ce médecin juif qui entretenait avec Soliman une correspondance par laquelle le sort de la place pouvait être compromis ; et c’est sous ces mêmes arceaux séculaires que fut lue à d’Amaral la sentence du tribunal suprême de l’ordre, qui condamnait ce chevalier félon à payer de sa tête sa trahison et ses intelligences avec les Turcs.

Ruines de l’église Notre-Dame de la Victoire, à Rhodes.

Allant au delà, on arrive au quartier juif, où une large rue et plusieurs belles maisons armoriées attestent qu’elles servirent d’habitation à des membres de l’ordre de Saint-Jean. On y rencontre, à chaque pas, d’énormes boulets de marbre ou de granit lancés par ces fameux basilics, sorte de gros mortiers de soixante à quatre-vingts centimètres de diamètre qu’employèrent les Turcs dans ce siége où leur artillerie s’acharna à plusieurs reprises, mais vainement, contre cette partie de la ville. Ces singuliers projectiles, façonnés dans les montagnes du pays, sont restés là depuis 1522, et ils sont à moitié enterrés dans le sol ou rangés, en guise de bornes, contre les maisons.

En cet endroit on se retrouve tout près du port et de sa ligne imposante de hautes et solides murailles. Plusieurs tours s’élèvent au-dessus des fortifications que baigne la mer, et au pied desquelles venaient s’amarrer les galères de l’ordre, après leurs courses contre les