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La commission d’Égypte a produit Champollion, comme Champollion a produit, en leur ouvrant la voie, les profonds travaux des égyptologues dont s’honorent aujourd’hui la France, l’Allemagne et l’Angleterre. Le magnifique monument élevé par la France aux antiquités égyptiennes, quelles qu’en soient les inévitables lacunes, restera comme le point de départ de ces belles études, qui sont devenues une des branches importantes de l’érudition historique.

M. Jomard, qui avait contribué avec tant d’ardeur à en réunir les matériaux, a eu, par une singulière faveur de la fortune, la gloire d’attacher son nom au frontispice même du monument. Désigné, en 1803, comme secrétaire de la commission chargée de préparer la publication de l’ouvrage, et, quatre ans plus tard, élevé aux fonctions de commissaire du gouvernement pour la surveillance de la gravure et de l’impression, il se consacra tout entier à ce grand travail, qui ne fut achevé qu’en 1825. Son entrée à l’Académie des inscriptions, ou il remplaça l’illustre Visconti, en fut pour lui, dès l’année 1818, une première et glorieuse récompense ; en 1828, il en reçut une autre non moins précieuse par l’établissement du Cabinet des cartes et de la géographie à la Bibliothèque royale, création due tout entière à sa persistante initiative, et dont il a conservé la direction jusqu’à l’heure de sa mort.

Ce n’est pas sans un sentiment de douleur qu’il me faut ajouter que ce bel établissement, qui faisait tant d’honneur à la Bibliothèque impériale, privé désormais d’une direction spéciale, est en danger de disparaître ou tout au moins de s’amoindrir dans je ne sais quelle nouvelle organisation réglementaire.

Types sibériens (Asie orientale). — Dessin de Catenacci d’après M. Raddé.

Le Cabinet des cartes, tel que l’avait conçu et organisé M. Jornard, devait être le dépositaire universel de tous les documents qui intéressent la géographie ; ce sont les archives générales de la science. Une de ces parties les plus rares et les plus précieuses sont les cartes du moyen âge. Aucun monument de ce genre appartenant à l’antiquité n’est arrivé jusqu’à nous ; mais les deux ou trois siècles qui ont précédé la découverte de l’Amérique, avec laquelle commence l’ère de la géographie moderne, nous en ont laissé une suite nombreuse et d’un grand intérêt pour l’étude, depuis les esquisses informes tracées dans quelques vieux manuscrits, jusqu’aux beaux portulans des écoles italiennes et de l’école catalane, et à la splendide mappemonde dessinée par Fra Mauro, en 1457, sur une des murailles du couvent des Camaldules, à Venise.

C’est dans ces œuvres curieuses des derniers siècles du moyen âge que l’on peut suivre aujourd’hui, mieux que chez les arides chroniqueurs de ces temps d’ignorance, l’extension progressive des notions del’Europe sur l’Asie orientale et sur l’Afrique à partir des croisades. M. Jomard en a réuni au Cabinet des cartes, soit en originaux, soit en copies exactes, une série qui est certainement la plus belle qui existe en Europe. La vue de ces richesses lui suggéra une autre pensée d’une utilité incontestable : ce fut de les faire entrer, par la publication d’un bon choix reproduit en fac-simile, dans la circulation scientifique. La même idée était venue dans le même temps (il y a une vingtaine d’années) à un autre savant d’origine portugaise fixé depuis longtemps à Paris, M. le vicomte de Santarem, et les deux collections ont longtemps marché simultanément sans se nuire ni faire double emploi. M. Jomard, lorsque la mort l’a surpris, préparait une nouvelle livraison de la sienne, et venait de mettre la dernière main à une introduction générale. Ce sera là un de ses grands titres à la reconnaissance des amis des sciences géographiques.

En dehors de cette collection, M. Jomard n’aura laissé, à vrai dire, aucune œuvre importante et de longue haleine ; car les mémoires qu’il a donnés à la description de l’Égypte sont à peu près exclusivement descriptifs. C’est beaucoup moins par ses écrits que par ses actes qu’il a servi la science. Doué d’une incomparable activité de corps et d’esprit, il ne voulait rester étranger à