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il se compose d’un mélange de caractères grecs et sémitiques, et de lettres d’une forme toute particulière. Beaucoup d’inscriptions commencent par des croix, ce qui semble indiquer que, comme celles du Sinaï, elles sont postérieures à l’ère chrétienne. Elles accompagnent souvent des représentations grossières de femmes, de chevaux, de chameaux, de chasses au lion ; tout semble indiquer qu’elles sont l’œuvre de populations nomades. »

De là les deux explorateurs sont rentrés dans le Haourân, où ils se sont surtout occupés de l’étude des monuments. Ce n’est pas le côté le moins frappant de cette singulière région. Il y a là une civilisation entière dont les œuvres matérielles se sont conservées presque intactes : des maisons, des temples, des basiliques, des arcs, des aqueducs, des routes, etc., et tout cela en nombre presque incalculable. Dans toutes les constructions, dans les constructions privées comme dans les monuments publics, un seul élément a été employé, la pierre : les murs, les plafonds, les portes, les fenêtres, tout est en pierre basaltique, ce qui donne au pays un aspect indescriptible. C’est quelque chose de bizarre et de morne à la fois, que ces constructions indestructibles qui restent debout comme si elles dataient d’hier, et où ne se montre plus un être vivant. Cela rappelle les palais des contes de l’Orient, frappés d’un sommeil séculaire par la main d’un méchant génie.


Nouvelles recherches dans l’Inde. — L’Afghanistan. — Vastes opérations géodésiques.

S’il y a au monde deux contrées différentes, c’est l’Arabie et l’Inde : l’Arabie avec son sol aride et ses déserts sans fin ; l’Inde avec les luxuriants trésors de son inépuisable végétation. Il y a néanmoins un trait commun entre ces deux régions que la nature a faites si dissemblables, c’est de se perdre à demi dans l’inconnu. L’inconnu, pour l’Inde, c’est son passé. Les anciens temps de l’Inde ne nous apparaissent que par de rapides échappées. Ceci n’est pas seulement vrai de son histoire, mais aussi de sa géographie ; les documents qui nous reportent aux époques antérieures à la conquête musulmane, c’est-à-dire aux premières années du onzième siècle de notre ère, avec lequel commencent les temps modernes de la péninsule, sont rares, incomplets, dispersés. C’est toujours une bonne fortune pour ceux qui prennent intérêt à l’histoire de ces belles contrées de l’Orient, d’en retrouver quelque débris, et surtout d’en pouvoir tirer quelque lumière pour éclairer les périodes obscures de l’Inde brahmanique.

Un document de ce genre a été livré à l’Europe, il y a quelques années, par la traduction des voyages du bouddhiste chinois Hiouen-thsang dans l’Inde au milieu du septième siècle de l’ère chrétienne, ouvrage important qui n’est pas un des moindres titres que notre profond sinologue, M. Stanislas Julien, a conquis près du monde savant. Dans un mémoire considérable que nous-même, à la demande du docte traducteur, nous joignîmes à cette publication, nous exprimions le vœu que parmi les officiers de l’armée de l’Inde, qui a donné tant d’hommes éminents à la science, il s’en trouvât un à qui les circonstances permissent de reprendre, sur le terrain même, l’itinéraire du bouddhiste chinois, de suivre ainsi pas à pas nos identifications, et de rechercher, d’après les indications très-circonstanciées de l’ancien voyageur, les restes d’antiquités qui n’ont sûrement pas entièrement disparu de certaines localités particulièrement consacrées par la vie du Bouddha Çâkyamouni et la vénération de ses sectateurs. Nulle entreprise ne nous paraissait et ne nous paraît encore devoir être plus féconde en résultats géographiques et archéologiques. C’est avec une vive satisfaction que nous avons appris que le vœu que nous exprimions allait être rempli. Le colonel Alexandre Cunningham, déjà bien connu par de savantes études topographiques dans le nord-ouest de l’Inde, annonce que, sur sa proposition, le gouvernement colonial de Calcutta l’a autorisé à entreprendre un voyage archéologique sur la trace de l’itinéraire de Hiouen-thsang. Le colonel avait commencé ses investigations par la province de Bérar, dans les derniers mois de 1861. Ce territoire répond à ce que, dans l’ancienne géographie sanscrite, on appelait le Magadha, et il a, en effet, un intérêt particulier. C’est là que le fondateur de la Réforme bouddhique commença le cours de ses enseignements religieux ; et ce pays de Magadha, qui fut toujours regardé comme une terre sainte par les sectateurs du nouveau culte, se couvrit dès l’origine d’édifices et de monuments religieux. Les prochains numéros du journal de Calcutta nous tiendront sans doute au courant des progrès de l’entreprise. Cette nouvelle a de l’importance ; elle annonce la reprise des travaux scientifiques dans l’Inde, que le formidable soulèvement de 1857 avait nécessairement suspendus.

Nous pouvons noter aussi, moins à cause de la place très-restreinte qu’ils peuvent avoir dans le mouvement général des sciences géographiques qu’en raison de leur étendue et de leur importance locale, les résultats géodésiques obtenus par les ingénieurs anglais en dehors de la frontière occidentale du Pendjab. On sait que le Sindh ou Indus, dans la moitié inférieure de son cours, est dominé à l’ouest, à une médiocre distance, par une chaîne parallèle de montagnes très-élevées qu’on appelle le Souleïmân-koh, c’est-à-dire la montagne de Salomon. Le nom de Salomon ne joue pas un moins grand rôle dans les traditions légendaires des tribus musulmanes de ces cantons que dans les contes des Mille et une Nuits. La longue plaine comprise entre le pied des montagnes et la rive occidentale du Sindh fait aujourd’hui partie des provinces de l’Inde britannique ; mais la montagne elle-même, et les rudes vallées du revers opposé dans la direction de Ghazni et de Kandahar, sont occupées par des tribus indépendantes non moins sauvages que les âpres cantons où paissent leurs nombreux troupeaux. Ce pays est ce que les anciens connurent sous le nom d’Arachosie ; il y a là, entre les crêtes du Souleïmân et la route de Khélat à Ghazni et à Kaboul, suivie par les armées anglaises dans la guerre de l’Afghanistan, une étendue de pays grande comme