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Les Mormons, à leur tour, se plaignent de la violente injustice des chrétiens ; l’évêque et le maire de Springville, M. Mac Donald, ont été saisis dernièrement, à l’occasion d’un meurtre, par le simple motif qu’ils étaient dignitaires de l’Église. Après une détention de plusieurs mois à Camp-Floyd, l’évêque est parvenu à s’échapper : il va et vient aujourd’hui librement, sans qu’on l’inquiète, ce qui prouverait qu’on ne le croit pas bien coupable et que son arrestation était quelque peu arbitraire.

En 1853, le capitaine Gunnison et sept personnes de sa suite furent assassinés près de Nicollet, sur le Sévier, vingt-cinq milles au sud de Néphi. Les Anti-Mormons déclarent que les auteurs de ce crime sont des Indiens blancs qui n’ont agi que d’après des ordres supérieurs, afin d’empêcher l’ouverture d’une nouvelle route et de prévenir des révélations qui auraient probablement eu lieu. Les Saints rappellent, à leur décharge, les bons procédés qu’ils avaient eus pour le capitaine lors de sa précédente expédition ; les termes bienveillants affectueux même, avec lesquels cet officier parle des Mormons dans son journal ; enfin ils disent, et la chose est vraie, qu’à cette époque on était en pleine hostilité avec les Indiens, et que, dans cette malheureuse affaire, il fut tué un nombre d’Yutas égal à celui des explorateurs. M. Remy attribue, sans hésitation, le meurtre du capitaine et de ses hommes aux Pahvantes, dont quelques-uns avaient été tués par des émigrants qui se rendaient en Californie.

Ce sont encore les Saints que les Anti-Mormons accusent de l’horrible massacre de la Prairie de la Montagne, massacre ayant pour but, d’après eux, de venger la mort de M. Parley Pratt, apôtre estimé, qui voyageant dans l’Arkansas en 1857, fut tué par L. Mac-Lean, dont la femme l’avait suivi après avoir embrassé la foi nouvelle.

Les Mormons repoussent le fait avec énergie et demandent pourquoi, si on les croit coupables de cet affreux attentat, aucun des leurs n’a été appelé devant la justice.

Rives du lac Utah. — Dessin de Ferogio d’après Stansbury.

Au mois de février 1859, il y eut différentes querelles entre les soldats et les citoyens de Rush-Valley, à trente-cinq milles de la métropole, du côté de l’ouest, M. Howard Spencer, squatter, se voyant expulsé par le sergent Ralph Pike d’un terrain que lui avait concédé le gouvernement, leva sa fourche sur son antagoniste, qui lui fit à la tête une profonde blessure. Quelque temps après le sergent, ayant été mandé à la ville Sainte, fut tué d’une balle au milieu de la Grand’Rue. Les Anti-Mormons accusent naturellement M. Spencer de la mort du sergent Ralph ; ils tiennent pour impardonnable ce meurtre d’un individu que la justice avait fait appeler comme témoin, et les officiers de Camp-Floyd eurent beaucoup de peine à empêcher leurs soldats de venger la mort de leur camarade, qui était à la fois un honnête homme et un excellent militaire. Les Mormons affirment que la balle fut tirée par une main inconnue ; que le sergent avait fait preuve d’une violence inutile vis-à-vis de M. Spencer, qui, se voyant seul entouré de soldats, avait eu recours à sa fourche simplement pour se défendre.

Deux mois avant notre arrivée dans l’Utah, M. Hennefer, l’un des Saints, avait été lié à une charrette et flagellé par le lieutenant Saunders et l’aide-major Covey. Les Anti-Mormons prétendent que ces derniers avaient reconnu dans leur victime l’espion qui, deux ans auparavant, avait écouté ce qu’ils disaient chez MM. Livingston, et qui, s’étant porté sur leur chemin avec une demi-douzaine de ses pareils, envoya au docteur Covey une balle qui l’atteignit en pleine poitrine. Les Mormons représentent M. Hennefer comme un citoyen paisible, un homme incapable d’offenser qui que ce soit, et qui, d’ailleurs, s’est justifié par un alibi du crime qu’on lui impute.

Il me serait facile de multiplier ces exemples de dépositions que j’ai recueillies de part et d’autre ; elles sont toutes également contradictoires, et tantas componere lites quis audet ?

Loin de moi la pensée que les hommes honorables qui me parlaient des Mormons à Camp-Floyd exagèrent à dessein les faits qu’ils racontent, et enveniment la question de parti pris ; mais tout en acceptant, comme ils l’affirment, qu’un étranger ne peut voir que le beau côté du mormonisme, il est impossible de ne pas reconnaître