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Vue de Nauvoo. — Dessin de Ferogio d’après M. J. Remy.


VOYAGE À LA CITÉ DES SAINTS,

CAPITALE DU PAYS DES MORMONS


PAR M. LE CAPITAINE BURTON[1].
1860. — TRADUCTION ET DESSINS INÉDITS.


Quelques mots sur l’origine du Mormonisme. — Comment on devient prophète au dix-neuvième siècle.

Avant de quitter l’Utah pour la Californie, la terre des Saints pour celle des chercheurs d’or, je dois à mes lecteurs un bref exposé du passé des Mormons, de l’origine de leurs doctrines et des actes de leurs apôtres, ne serait-ce que pour prendre congé du public dans les termes mêmes dont lord Chesterfield se sert pour clore ses longs conseils à son fils prêt à entrer dans le monde : « Et maintenant, allez et voyez quels pauvres mobiles et quels piètres hommes dirigent l’humanité. »

Au commencement de ce siècle, toute la vallée de l’Ohio et les contrées voisines étaient sous l’influence d’un enthousiasme religieux dégénérant en manie. Les Réveils, pour me servir d’un mot consacré, se multipliaient avec une intensité encore inconnue. De fantasques prédicateurs, aux doctrines extravagantes et sauvages, enflammaient, par la véhémence de leurs discours insensés, l’esprit du peuple, surtout des illettrés, et le poussaient jusqu’aux dernières limites de la frénésie.

Les basses classes saisies de crainte attendaient le jour terrible où un changement soudain se ferait dans les conditions physiques et spirituelles de la race humaine. Les pécheurs courbaient en pâlissant la tête sous la vague menace d’une imminente destruction ; les élus, au contraire, appelaient avec extase l’instant où ils seraient enlevés avec gloire dans l’empirée. Les prophéties d’Isaïe et de Daniel étaient devenues le texte des déclamations de tous les fanatiques. La consommation des siècles prédite par’Ancien et le Nouveau Testament approchait. Les années, les mois décrétés de toute éternité qui séparaient encore l’humanité de sa fin terrestre avaient été calculés à une seconde près, et jour après jour, l’heure du jugement dernier s’avançait ou reculait, selon la fantaisie, le besoin, l’erreur ou le calcul de ces mathématiciens sacrés, interprètes assermentés de l’avenir.

On tenait fabrique de miracles : l’événement banal devenait prodige et rejetait l’esprit dans une mystique exaltation. Tremblements de terre, tempêtes, comètes, catastrophes, rumeurs de guerre, accouchements monstrueux, tout était signe du temps. Le fanatisme monta si haut qu’un grand nombre de pauvres insensés, aiguillonnés par l’idée du jugement dernier, confessèrent des secrets sanglants longtemps ensevelis dans les replis de leur conscience, abandonnèrent leurs biens, s’enveloppèrent de voiles blancs et gravirent de hautes collines pour y attendre la venue triomphante du juge suprême. Au milieu de cette population en délire, vers l’an de grâce 1825, un jeune homme d’une vingtaine d’années, né dans l’État de Vermont d’un fermier de condition médiocre et de réputation douteuse, se fit remarquer par son mysticisme calculateur et les tendances suivies de ses visions.

Joseph Smith junior (car il prit de bonne heure cette qualification pour se distinguer de son père, porteur du même prénom que lui), Joseph Smith junior était peu érudit. Dans une longue fréquentation d’une de ces excellentes écoles primaires, si nombreuses aux États--

  1. Suite et fin. — Voy. pages 353 et 369.