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tion dans les divers établissements publics, il y a les soirées de quartier, les cotillons hebdomadaires des anciens, où peut-être ces vénérables personnages dansent entre eux, comme à Oxford les bacheliers font l’exercice. De même qu’au palais de Saint-James, la polka est désapprouvée chez les Saints ; mais on assure que Terpsichore doit à la foi nouvelle une heureuse modification de la contredanse, le cotillon mormon, où tous les chevaliers donnent la main à deux dames. Espérons qu’on introduira cette nouvelle forme de quadrille aux bains de mer et aux eaux, où la proportion des danseurs, à l’égard des danseuses, est rarement de plus d’un pour sept.

Les réunions de la salle de société sont éminemment choisies et montées sur un pied dispendieux. Les invitations, faites sur papier blanc, doré sur tranche et à bordure gaufrée, ne sont envoyées qu’à l’élite de la ville, et ne s’adressent pas à plus de soixante-quinze-ou quatre-vingts chefs de famille, y compris les Gentils les mieux posés.

Ce billet de dix dollars ne paye que l’entrée d’un seul couple ; il faut donner deux autres dollars par chaque lady qu’on amène en sus de la première ; dans les fêtes moins splendides, la dépense totale se monte à deux dollars cinquante cents. À l’approche du grand jour, les billets se vendent avec prime, et acquièrent parfois une grande valeur ; mais l’espace est limité, et plus d’un Jacob se voit réduit à ne présenter que Rachel, privé de son glorieux cortége de Liahs, de Zilpahs et de Billahs.

Portraits du patriarche Jedidiat Grant et du vice-président Heber C. Kimball. — Dessin de Ferogio d’après M. J. Remy.

Voici le résumé de ce qui m’a été dit sur la dernière fête. La salle était décorée avec une élégance pleine de goût ; parmi les draperies et les branches d’arbres verts, disposées en guirlandes ou en faisceaux, se détachait cette devise : Our mountain Home, dont chacun était ému. À quatre heures de l’après-midi arriva le prophète, et l’ordre fut réclamé (ne pourrait-on pas en faire autant dans les bals de Londres ?). Le silence immédiatement obtenu, le pontife, monté sur une estrade, leva les mains et bénit tous ceux qui étaient présents. En Europe, j’ai entendu dire que le maître du logis où il y avait un bal faisait souvent le contraire.

La bénédiction terminée, M. Brigham descendit de sa plate-forme et ouvrit le premier cotillon. À huit heures on annonça le souper ; le couvert était de deux cent cinquante personnes, et le menu avait été fourni par M. Candland, propriétaire du restaurant du Globe, où j’allais prendre mes repas. On apprendra peut-être avec intérêt que la cuisine de l’Utah offre quelques nouveautés, le castor et l’ours, par exemple. La venaison de ce dernier animal est très-estimée dans toute la région de l’ouest, principalement à la fin de l’automne ; après l’hiver, elle est sèche et dure. Il est arrivé à plus d’un Anglais, chassant dans l’Himalaya, de surmonter la répugnance artificielle que lui inspirait la graisse du susdit animal, et de se régaler d’un bifteck d’ours ; le pied surtout, qui, par parenthèse, ressemble à une main d’homme, est excellent, experto crede. Je ne peux rien dire de la queue du castor ; mais il n’y a pas de raison pour qu’elle soit inférieure à celle du mouton du Cap, dont la finesse est connue.

Après souper, la danse reprit avec une nouvelle ardeur ; entre les cotillons, des chants populaires et des duos furent exécutés par les premiers artistes, et la fête se termina comme elle avait commencé, par la prière et la bénédiction du prophète. Elle avait duré jusqu’à cinq heures ; danser treize heures de suite ! cela prouve de puissantes facultés pour le plaisir ; et il est pro-