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dernière et la plus élevée des chaînes de montagnes situées entre le fort Bridger et la plaine du grand lac Salé ; puis, avec l’aide de saint Jacques de Compostelle, le patron des pèlerins, nous atteindrons la future cité du Christ, la nouvelle Jérusalem, où le Sauveur doit un jour régner sur les saints, comme roi temporel, dans toute sa gloire et sa puissance.

Nous nous ceignons les reins, après avoir pris une tasse de thé, et, vers sept heures, nous nous remettons en route. Côtoyant la crique de Bauchmin, nous la traversons peu de temps après : c’est le treizième gué dans un espace de huit milles. Les deux milles suivants se font au bord d’un cours d’eau torrentiel, ou plutôt du ravin qu’il remplit, et qui traverse un fourré plein de tribules, dont nous serons accompagnés jusqu’à notre destination. Le chemin s’éloigne de la ravine, il s’accidente, est de plus en plus inégal, de plus en plus roide. On nous fait mettre pied à terre, et nous appuyons bravement nos poitrines contre le versant de la Grande-Montagne (Big-Mountain), qui se dresse à quatre milles de la station de Carsone. La route est bordée par un large arroyo, encombré de quartiers de roche, et où bouillonne l’eau des sources qui s’échappent de ses flancs argileux où s’écoulent des sables et des amas de rochers, sources vives bien précieuses au voyageur que la soif dévore. Toutes les pentes sont revêtues de grands conifères : pins du Canada, pins baumiers et sapins de différente espèce, dont quelques-uns s’élèvent à une hauteur de trente mètres avec une admirable pureté de forme, de couleur et de feuillage. À ce riche manteau d’un vert obscur se mêlent les teintes variées du tremble, du hêtre, du chêne nain, des fourrés d’aunes et d’églantiers, où les tons chauds de l’automne s’unissent à la verdure brillante de l’été.

Un cañon ou passe des montagnes Rocheuses. — Dessin de Lancelot d’après les Reports of exploration.

L’ascension est de plus en plus pénible ; cette muraille qu’il faut escalader après les fatigues d’un voyage de mille milles, achève les malheureuses bêtes de trait, à demi mortes de faim. Nous observons que leur cadavre, qui dans la prairie est inodore, est loin d’avoir le même privilége dans les montagnes. Les propriétaires d’une charrette à bras, un homme, une femme et un enfant, sont arrêtés à l’endroit le plus difficile et cherchent à reprendre haleine ; nous leur adressons quelques paroles encourageantes et nous continuons à gravir. Avec la sauterelle, qui jette au loin son craquettement de sinistre augure, le seul animal que nous apercevions est l’écureuil gazouilleur. Les arbres portent néanmoins la trace de griffes énormes qu’il est facile de reconnaître pour l’empreinte de l’ours, et probablement de l’ours brun, car l’ours gris ne monte aux arbres que dans son enfance.

À mi-côte, la gorge s’élargit et prend l’aspect d’une vallée ; en certains endroits, le fond en est plat sur un