Page:Le Tour du monde - 06.djvu/353

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Caravane de Mormons. — Dessin de Chassevent d’après M. Stansbury.


VOYAGE À LA CITÉ DES SAINTS,

CAPITALE DU PAYS DES MORMONS

PAR M. LE CAPITAINE RICHARD BURTON[1].
1850. — TRADUCTION ET DESSINS INÉDITS.


I


De Saint-Louis (Missouri) aux défilés des montagnes Rocheuses. — Bagage du voyageur. — Routes de l’Utah.

Séjournant en Amérique, à Saint-Louis, au mois de juillet 1860, je résolus de me rendre en Californie et d’ajouter, chemin faisant, sur la liste des villes saintes que j’avais déjà visitées, Memphis, Bénarès, Jérusalem, la Mecque et Rome, le nom de la nouvelle Sion.

Cette résolution arrêtée, j’échangeai contre la modeste somme de cent soixante-quinze dollars (environ neuf cent cinquante francs), un billet pour la malle de l’Ouest, qui part tous les mardis de Saint-Joseph ou de Saint-Jo, comme on dit irrévérencieusement dans ce pays. Puis je me munis de quelques provisions, telles que sucre, thé, cognac et tabac, et je modifiai mon bagage selon les conseils des gens expérimentés.

Je fis trouer par le milieu une couverture en caoutchouc, afin de pouvoir m’en servir comme d’un poncho. De plus j’eus soin de la faire garnir dans sa longueur de boutons et de bouclettes se correspondant ; enfin on y ajouta une courroie dans le sens opposé, de façon qu’il fût possible de la convertir en porte manteau, objet indispensable de l’équateur au pôle.

J’aurais dû me procurer aussi une robe de bison en manière de bois de lit ; j’ignorais que ce fût nécessaire, et j’y suppléai par emprunt. Ce fut toutefois un oubli regrettable ; avec ce meuble, une couverture et une redingote pour traversin, on peut défier les odieux couchers des stations.

En fait d’armes, j’emportai deux revolvers. De Saint-Jo à Placerville ou à Sacramento, le pistolet ne doit pas quitter un instant la droite du voyageur (il y est plus sous la main que de l’autre côté), ni le bowie (grand couteau) déserter sa gauche ; en cas de lutte avec les Indiens ou avec d’autres, ce qui est toujours imminent, l’avance d’une seconde peut lui sauver la vie.

Comme ressources littéraires, j’emportais, outre les guides indispensables, les Découvertes de Frémont, de Stansbury, de Gunnison, et un choix des pamphlets les plus violents qu’aient inspirés l’attaque et la défense du mormonisme.

Pour écrire et pour dessiner, j’étais muni de carnets à feuilles métalliques de cinq pouces de longueur servant à la fois d’albums et de livres de notes, et d’une écritoire de voyage, dont un fermoir à ressort remplaça la serrure, afin d’éviter l’emploi de cette invention barbare que l’on appelle une clef.

Pour instruments de précision, j’avais un sextant de poche à double face, inventé par M. George, membre de la Société géographique, et admirablement exécuté par MM. Cari ; un horizon artificiel en verre noir, avec niveaux d’eau ; des boussoles de nuit et de jour, et une boussole portative à la chaîne de montre (s’il n’est pas orienté, le voyageur a mal aux nerfs) ; un thermomètre de poche, et un autre à eau bouillante ; et à la place d’une bonne jumelle, fort utile pour les objets d’ici-bas, un télescope sans valeur, qui devait me faire voir les satellites de Jupiter et ne me montra qu’une chose : c’est qu’il ne faut pas toujours ajouter foi à la parole d’un opticien.

Celui qui voyage dans la Prairie ne tient pas à la toi-

  1. Nos lecteurs connaissent déjà M. le capitaine Richard Burton, aujourd’hui consul d’Angleterre dans la baie de Biafra (golfe de Guinée). Nous avons publié le récit de son Voyage aux grands lacs de l’Afrique centrale (46e, 47e et 48e livraisons de notre deuxième volume).