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haute comme celle d’une cathédrale, est supportée par des rangées de colonnes torses semblables à d’énormes câbles de pierre ; dans le fond, une large porte, surmontée d’une ogive élégante, laisse apercevoir un jardin planté de citronniers et d’orangers, aussi vieux peut-être que le monument.

C’est dans les environs de la Llotja que se trouvent les orchaterias, où on va prendre la délicieuse boisson qu’on appelle orchata de chujas : c’est comme un sorbet à la neige, fait avec du lait d’une espèce d’amande de terre dont le goût et la grosseur rappellent assez une noisette. La chufa, qui est tout à fait inconnue chez nous, n’est autre que le cyperus esculentus de Linné, détail que nous aurions toujours ignoré probablement, sans un de nos amis, savant professeur de l’université de Valence. Dans la plupart des villes d’Espagne, on trouve des orchaterias de chutfas ; cette industrie est exclusivement exercée par des Valenciens, qui débitent leur orchata sans quitter le costume de leur province.

La cathédrale, appelée aussi la Seu, comme en Catalogne, offre un mélange de tous les styles qui se sont succédé depuis le treizième siècle jusqu’à l’époque actuelle ; comme dans toutes les églises espagnoles, l’intérieur est très-sombre et ce n’est qu’à certaines heures que quelques rayons de soleil, pénétrant dans la nef, permettent d’entrevoir d’assez bons tableaux de l’école valencienne.

Une des chapelles a conservé sans altération aucune son aspect du quinzième siècle : c’est une très-haute salle voûtée dont les murs sont ornés de toutes sortes d’engins guerriers du moyen âge et d’énormes chaînes de fer suspendues en guirlandes, qui servaient, dit-on, à fermer l’entrée du port de Marseille, et furent déposées là comme ex-voto par un roi d’Aragon.

Vieille femme de Valence. — Dessin de G. Doré.

Le clocher de la cathédrale, qui est assez élevé, s’appelle le Micalet ou Miguelete, du nom d’une énorme cloche pesant deux cent quinze quintaux, qui fut bénie le jour de Saint-Michel et qui sert à annoncer aux laboureurs de la huerta les heures des irrigations. Rien ne saurait donner une idée de la vue splendide dont on jouit du haut du Micalet : toute la ville s’étend à vol d’oiseau avec ses maisons aux terrasses blanches et les dômes de ses nombreuses églises dont les tuiles brillent au soleil comme du cuivre poli ; autour de la ville, la huerta s’étend à perte de vue comme une immense ceinture verte, avec un horizon de montagnes bleues et roses gracieusement baignées d’une lumière transparente ; l’Albufera, grand lac qui se confond avec la mer, sur laquelle des voiles brillent çà et là, et le port de Grao, dont les navires élèvent leurs mâts qui se confondent avec les palmiers. C’est surtout une heure avant le coucher du soleil que nous aimions à jouir de ce spectacle, sans pouvoir jamais nous en rassasier.

Valence a deux charmantes promenades, l’Alameda Glorieta, sur les deux rives opposées du Guadalaviar. Là on se fait une idée de la douceur du climat de Valence. Toutes sortes d’arbres des tropiques, tels que des bambous énormes, des chirimoyas et des bananiers, y sont cultivés en plein air et s’y émaillent de fruits parfaitement mûrs.

Le Guadalaviar ou Turia, malgré ses quatre beaux ponts de pierre, est absolument à sec les trois quarts de l’année. En revanche, il déborde quelquefois l’hiver et cause des dégâts terribles. Depuis les montagnes de l’Aragon, où cette rivière prend sa source, les riverains lui font de nombreuses saignées pour les irrigations ; aussi l’été est-elle souvent sans une goutte d’eau.

Les irrigations sont depuis des siècles la principale source de la richesse du pays ; bien avant 1238, année de la conquête par Jayme ou Jacques Ier el Conquista-