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le costume de la Folie, ajoute qu’elle porte en guise de grelots des têtes de Valenciens :

Y lleva por cascabellos
Cabezas de Valencianos.

Si on en croit le proverbe, le royaume de Valence serait un paradis habité par des démons : Paraiso habitado por demonios ; mais comme à côté de tout proverbe il y en a un autre diamétralement opposé, on peut citer celui-ci non moins connu : En Valencia la carne es yerba, la yerba es agua, el hombre mujer, y la mujer nada, c’est-à-dire qu’à Valence la viande est de l’herbe, l’herbe est de l’eau, l’homme est femme et la femme n’est rien.

Nous croyons que la férocité des Valenciens a été très-exagérée. Sauf une querelle au jeu de boules qui menaçait de tourner au sérieux, nous n’avons eu à noter aucune scène tragique. Nous avons maintes fois parcouru les environs de Valence, et nous n’y avons jamais rencontré que des gens très-inoffensifs et fort obligeants malgré leur air tant soit peu rébarbatif. Un jour que nous faisions une promenade à pied dans la huerta, un orage tropical fondit sur nous tout à coup, et nous eûmes bien juste le temps de nous réfugier dans la barraca ou cabane d’un labrador. Notre hôte, après nous avoir fait asseoir, nous offrit quelques fruits, et voulut nous faire goûter son vin noir et sucré ; quand nous prîmes congé de lui, il refusa obstinément une pièce d’argent que Doré lui offrait : il me fallut employer tout ce que je possédais du dialecte valencien pour lui faire accepter la peseta destinée à acheter quelques joujoux pour les ninos.

Une querelle de joueurs de boules, à Valence. — Dessin de G. Doré.

Le dialecte valencien, un peu moins rude que le catalan et que le majorquin dont il se rapproche beaucoup, n’a que peu d’analogie avec le castillan, avec l’espagnol proprement dit ; il ressemble assez au patois qu’on parle dans le midi de la France, et il a la même origine, la langue limousine du moyen âge ; un assez grand nombre de mots, par exemple ceux qui servent pour la numération, sont les mêmes qu’en français.

Sur la place du Marché, se trouve la Lonia de seda, la Bourse de la soie, ou la Llotja, comme disent les Valenciens. Ce nom rappelle la Loggia des villes d’Italie, et la chose est à peu près la même : c’est là qu’au moyen âge les marchands de soie venaient traiter leurs affaires ; aujourd’hui encore le commerce de la soie est très-important à Valence, et on en voit une grande quantité suspendue en énormes tresses blondes aux murailles de la Llotja.

L’architecture du monument, des plus gracieuses, porte tous les caractères de la fin du quinzième siècle ; la façade est surmontée de créneaux en forme de couronne qui lui donnent un air tout à fait héraldique ; quant à l’intérieur, il est de la plus merveilleuse élégance. Qu’on se figure une salle immense dont la voûte