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La forêt de Mourom. — Nijni-Novogorod.

En sortant de Toula, on suit la route qui conduit à Kazan, et bientôt on découvre la forêt de Mourom. Les traditions du pays sont empreintes d’une poésie sauvage et ce qu’elles racontent de cette forêt pleine de mystères défraye les veillées du peuple. La forêt de Mourom sert d’asile aux brigands ; d’âge en âge on se redit leurs crimes et on s’apitoie sur les événements tragiques qui ont ensanglanté la forêt. Les bardes nationaux ont des accents d’une mélancolie profonde quand ils chantent les légendes de Mourom ; cette poésie, sans règle, sans méthode et sans art, a un parfum oriental qui ne manque ni de charme ni de grâce ; à chaque relais, je me plaisais à écouter ces chants étranges et doux ; le postillon lui-même, tout en conduisant ses chevaux, me faisait des récits merveilleux, et tout cela était dit avec une sorte d’éloquence qui donnait aux faits les plus invraisemblables un air de vérité et d’actualité.

Mon gardien en était si bien impressionné qu’avant de pénétrer dans la forêt il arma son pistolet et dégaina son sabre ; mais ces appréhensions furent en pure perte, et nous ne vîmes pas le moindre brigand.

J’avoue qu’après le désolant spectacle des steppes, la vue des arbres me fit grand bien : je respirais avec délices la douce senteur de la végétation, et je ne me lassais pas de regarder les beaux coqs de bruyère qui voletaient dans la forêt ; un moment je fis un doux rêve, je me crus en Pologne ! les coqs de bruyère sont les hôtes de nos belles forêts… mais non, la vie n’est plus qu’un souvenir…

Bientôt nous approchâmes des rives du Volga, et après une courte marche, nous atteignîmes Nijni-Novogorod, ville réputée par son commerce. Les deux villes, séparées par le Volga, ont un aspect différent : l’une atteste l’activité, le mouvement, et l’autre représente la morne immobilité. La même contrée, le même peuple, le même idiome n’ont aucun point de contact à l’extérieur ; mais la résurrection s’opère une fois par an, à l’époque d’une grande foire, et l’animation se fait comme par enchantement dans la fusion des deux populations.

La foire, qui avait lieu à Makariev, vint s’établir ici en 1817 ; elle dure pendant cinq semaines ; on y voit affluer