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par la théologie (la Dispute du saint sacrement), les secrets de la nature et de l’âme par la philosophie (l’École d’Athènes), s’élevant, par la poésie, à l’idéal (le Parnasse) et réglant, par la loi, les sociétés humaines (la Jurisprudence). Quelle grandeur dans l’idée, quelle clarté dans l’exécution[1] ! Du premier regard tout est compris. Pas un symbole, pas une allégorie ; il n’est besoin d’aucun commentaire : le titre du tableau dit tout ; c’est la pensée visible.

Du Vatican retournons à Munich.

Nous sommes à la Glyptothèque, dans la salle des Dieux. Assurez-vous d’abord d’un livret et d’un guide. Voici ce que dit le premier ; je cite textuellement : « Les fresques de cette salle représentent l’histoire des dieux dans leurs relations avec l’homme et le génie dominant qui est en lui. » Ce n’est pas plus clair que la musique mythique et le silence retentissant de M. Wagner ne sont mélodieux ; voyons si la peinture le sera davantage.

D’abord quatre amours. Le premier est sur un dauphin. Nous autres, nous croirions à voir le bambin ailé à cheval sur un poisson qu’on a voulu montrer l’amour embarqué sur la mer orageuse des passions humaines. De l’autre côté du Rhin tant de simplicité ferait sourire ; des gens qui ont médité sur l’Aglaophamus et la Symbolique ne pourraient être contents avec si peu. Cet amour sur un dauphin, c’est la puissance harmonieuse qui dompte l’élément de l’eau ; c’est aussi, je crois, le rôle joué par l’élément liquide dans la formation géologique du globe. Creuzer et Cuvier se donnent la main dans la peinture mythique et savante de Cornélius.

Je n’exagère rien ; écoutez plutôt :

« Dans les quatre compartiments du plafond nous remarquons dans une liaison intime les quatre éléments, les quatre saisons, les quatre parties du jour et avec celles-ci les mythes qui s’y rapportent. »

L’amour avec l’aigle de Jupiter, c’est l’élément du feu et sans doute aussi la formation des terrains volcaniques. Plus bas est l’Été, représenté par Cérès avec Zéphire et un hermès de Pan, symbole de la fertilité ; vient ensuite l’Heure de midi, ou Apollon sur le char du soleil, tenant de ses deux mains le zodiaque et entouré des Heures. À droite et à gauche toute l’histoire du dieu : Daphné qui, dans ses bras mêmes, se change en laurier ; Leucothoé, Clythie et Hyacinthe, qu’il métamorphose en arbre à encens, en tournesol et en hyacinthe. Dans l’arabesque : le génie de la poésie au milieu de ménades assises sur des griffons, « ce qui veut dire la faculté créatrice du génie dominant les forces brutales de la nature. Au-dessous, dans un bas-relief, la bataille de Jupiter contre les géants, « symbolisant la victoire du principe divin sur le principe terrestre. » › Enfin le tableau principal qui montre un des quatre règnes cosmogoniques : ici, c’est le règne céleste représenté par l’assemblée des dieux au moment où Hercule est reçu parmi eux. Comme Hercule est habituellement le héros de la force brutale et qu’une peinture aussi spiritualiste ne saurait se commettre avec une pareille apothéose, au bas du tableau, pour en relever le sens, on a trouvé le moyen de placer encore l’Amour et Psyché : mythe scabreux où le vulgaire voit une chose charmante, mais fort terrestre, où les initiés voient « l’amour spirituel rapprochant l’homme de la divinité. »

Costumes bavarois.

Trouvez-vous qu’il y ait, comme cela, suffisamment d’idées sur cette muraille ? N’oubliez pas que ce que je viens de vous décrire n’est qu’une seule composition, qu’il y en a, dans la même chambre, trois autres tout aussi bourrées de figures et de théogonie, à l’exception du côté où se trouve la fenêtre. On aurait bien voulu la peindre aussi ; on est cependant parvenu à lui faire jouer un rôle.

L’amour avec le paon, c’est l’élément de l’air. Comme on comprendrait mal ce symbole ou cette allégorie, l’oiseau et le dieu sont placés au-dessus de la fenêtre. Alors cela devient très-clair.

Ce système se retrouve partout. Dans la neuvième loge de la Pinacothèque, qui est consacrée à Léonard de Vinci, Cornélius a peint d’abord le soleil s’élevant au-dessus de l’océan, afin d’indiquer que le clair esprit de Léonardo voyait tout ce que la terre enferme ; ensuite le zodiaque, car il connaissait également le ciel ; enfin, pour marquer l’étude que le grand artiste avait faite de l’âme humaine, il a placé autour de lui les quatre tempéraments : le sanguin, représenté par Bacchus et Ariane ; le colérique par Jupiter et Sémélé ; le mélancolique par Pluton et Proserpine ; le flegmatique par Latone changeant des paysans en grenouilles. Que dites-vous de cette idée des quatre tempéraments ?

Franchement, la Philosophie de la nature de Hegel n’est pas plus difficile à lire que cette peinture. À côté de cet imbroglio, placez le Jéhovah de Raphaël dissipant le chaos et vous mesurerez la distance qui sépare le gé-

  1. Je parle de la Théologie et de la Philosophie ; la Poésie et la Jurisprudence sont bien inférieures.