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bien placé, assez près de Saint-Boniface ; l’autre a un vilain voisinage, une caserne : tous deux sont dans le désert, ce qui, du moins, les met à l’abri de la poussière et de la fumée, deux grands ennemis des choses de l’art.

Cette solitude a pourtant son charme, mais à une condition, c’est qu’elle soit complète. Un matin, je me trouvais sur la grande place que forment les Propylées au fond, l’Exposition nationale à gauche, et la Glyptothèque à droite. L’espace est vaste, un large chemin le traverse ; de chaque côté s’étend une pelouse émaillée de fleurs rouges et blanches, et plus loin un champ de folle-avoine qui n’avait pu étouffer une multitude de boutons d’or. Derrière la Glyptothèque de beaux ombrages se marient harmonieusement aux lignes de l’architecture : ormes à la robuste membrure, et tout un bois épais de ces lilas qui jettent dans l’air les premiers et les plus doux parfums que la nature produise, au renouveau, quand la terre, se reprenant à la vie, exhale l’haleine embaumée du printemps. Leurs graines disgracieuses avaient depuis longtemps remplacé leurs fleurs charmantes ; mais les oiseaux chantaient dans leurs branches ; le soleil déjà radieux dorait le marbre blanc des frontons. Aucun bruit, aucune forme ne rappelaient l’Allemagne ni la vie moderne ; et si ce ciel n’était pas encore celui de l’Orient que j’allais chercher, ce silence, ces marbres, ces colonnes faisaient rêver d’art et de la Grèce.

J’étais donc bien loin des bords de l’Isar, quand un bruit et une forme étrange me ramenèrent brutalement à Munich. Le bruit ? c’était la voix d’un affreux rapin 1830, chevelu, barbu, anguleux, sombre, tel que j’en croyais l’espèce perdue. La forme ? c’était une jeune blanchisseuse rapportant au bout d’un bâton deux immenses crinolines qui devaient le lendemain donner à quelque belle dame du voisinage l’envergure d’un condor. Voilà comme une fausse note détruit toute l’harmonie d’un concert.

La place Grecque, à Munich.

Revenons à nos deux musées ; celui de peinture, bâtiment carré et bas, élevé seulement d’un étage, et sans jours pris du dehors, avec un portique grec de douze colonnes ioniques, surmontées d’un fronton qui ressemble à tous les portiques grecs du monde, est lourd et sans caractère ; le second, mieux conçu, est plus monumental, sans mériter toutefois pour ses dehors des éloges particuliers.

Maintenant entrons. La Glyptothèque est pauvre : rien des modernes, si ce n’est un marbre ou deux, sans importance, de Thorwaldsen et de ce Canova qu’on a tant surfait, si j’en juge par ce que j’ai vu de lui à Paris, à Munich et à Vienne ; rien non plus de la Renaissance. On a très-judicieusement disposé les monuments de la Glyptothèque dans l’ordre chronologique, seulement cette histoire a une lacune de seize siècles, depuis le buste de Marc-Aurèle jusqu’à celui du roi Louis. L’art romain est représenté par beaucoup de choses, aucune de haute valeur ; mais pour l’art grec, des joyaux inappréciables : un Niobide mourant, d’une admirable structure ; un Faune endormi, que Bélisaire enfermé au château Saint-Ange jeta, à défaut de projectiles, sur la tête des Goths, et qu’on retrouva neuf siècles après, au fond du fossé ; enfin, les marbres d’Égine, qui feraient à eux seuls la fortune d’un musée.

On a trop parlé de ces marbres pour que j’écrive à leur sujet un nouveau dithyrambe. Je fus très-heureux de les voir. Pour l’historien, ils ont une valeur incomparable ; l’artiste admirera aussi ces corps déjà si bien modelés qui annoncent la venue prochaine de Phidias ; mais tous les raisonnements de l’esthétique transcendante n’empêcheront pas qu’on n’éprouve un sentiment de répulsion à la vue de ces têtes sur lesquelles est sculpté, jusque sur celles des mourants, le même rire imbécile.