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Je n’étais pas monté seulement à Cilaos pour prendre un bain d’eau minérale. Il existait, dit-on, dans les environs des filons aurifères très-riches et très-puissants. La Californie n’était rien à côté de Bourbon, et a en croire un créole, cent mille mineurs travaillant pendant cent mille ans (ce sont ses propres expressions) effleureraient à peine le gisement qui venait d’être découvert. Deux chasseurs de cabris, deux de ces hardis passeurs de remparts, dont la race se perpétue à Bourbon, tandis que celle des cabris ou chèvres sauvages disparaît tous les jours, consentirent à m’accompagner sur le nouvel Eldorado. Ils avaient nom Prudent et Boyer. Le premier, parleur infatigable, causant un peu de tout et de beaucoup d’autres choses encore, ayant navigué, vu l’Inde et l’Europe, et portant par antiphrase sans doute le nom que lui avait donné l’état civil ; le second, froid, calme, impassible, n’ayant jamais quitté l’île Bourbon où il était né, mais solide au poste, comme on dit, et gravissant nu-pieds les plus hautes montagnes, les pics les plus ardus. Tous deux beaux hommes, secs et nerveux, et porteurs d’une barbe noire à rendre jaloux un sapeur.

Le chasseur de cabris. — Dessin de Janet Lange d’après l’album de M. le marquis de Trévise.

Nous sortîmes de Cilaos et nous nous enfonçâmes dans les bois. De temps en temps, Prudent se plaisait à signaler notre marche à sa femme, qui était restée au village. Il tirait à cet effet, de quart d’heure en quart d’heure, un coup de pistolet que l’écho renvoyait à la plaine. Prudent n’avait apporté que la poudre et les capsules. Le sable du ravin, la mousse des rochers servaient de plomb et de bourre, et le tuyau d’une pipe chassait la charge dans le canon.

Nous passâmes, avançant prudemment un pied l’un