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dits de Paris, enfin des machines et des mules pour le travail des sucreries. Les colonies de l’Inde envoient du riz, des toiles bleues ou guinées, du tabac, du poisson salé. Terre-Neuve expédie de la morue, qui forme avec le riz la principale nourriture des noirs et des Indiens engagés. La morue gâtée s’emploie comme engrais concurremment avec le guano, que l’on tire en grande partie du Pérou.

Le commerce avec l’étranger a lieu surtout avec l’Inde anglaise, la colonie du Cap, l’Australie, Maurice et Madagascar. Les marchandises importées sont des blés, des légumes secs et autres graines, de l’huile de coco, des viandes salées. De Madagascar on tire des bœufs, des moutons et des porcs, et beaucoup de volaille.

En retour de tous les produits qu’elle reçoit, l’île de la Réunion expédie surtout du sucre, sa principale production. Le chiffre de la fabrication atteint aujourd’hui plus de soixante-dix millions de kilogrammes. Il faut compter aussi près de deux millions de litres d’arak consommés presque entièrement dans le pays.

Après le sucre vient le café, toujours très-renommé pour son excellente qualité, mais dont l’exportation actuelle ne dépasse pas deux cent mille kilogrammes. C’est juste le dixième de ce qu’elle était avant les grands ouragans de 1859, et avant que la culture de plus en plus progressive de la canne n’ait fait aussi arracher presque tous les pieds de café.

La production du girofle atteint à peine aujourd’hui trente mille kilogrammes, et celle de la noix muscade trois mille. Celle du cacao ne peut satisfaire que la consommation locale, et celle du coton a disparu. Elle était jadis une des principales ressources de la colonie. Le coton en effet est indigène à la Réunion, et certaines variétés de cette plante donnaient à Saint-Paul et Saint-Leu des produits très-estimés. En revanche la culture de la vanille est depuis quelques années en très-grande faveur, et l’exportation des gousses desséchées arrive aujourd’hui au chiffre de dix mille kilogrammes. Comme on le voit, c’est encore le sucre qui forme l’élément principal du commerce d’exportation de la colonie : chaque année la canne est cultivée davantage. Il est à désirer que les colons n’aient pas un jour à se repentir d’avoir ainsi tout négligé : café, épices, coton, cacao, pour la précieuse graminée.


V

DE SAINT-PIERRE AUX EAUX THERMALES DE CILAOS.

Saint-Pierrois et Saint-Paulois. — Splendide panorama. — Colonisation de la plaine des Cafres. — La route de Cilaos. — Les petits blancs. — Vue du cirque de Cilaos. — La fontaine de Jouvence. — Les mines d’or. — Prudent et Boyer. — L’excursion de Bras-rouge. — Je mange des vers.

Saint-Pierre, où je m’arrêtai quelques jours, est une des villes les plus agréables de Bourbon. Dans ses rues bien pavées courent d’abondants ruisseaux à l’eau limpide. Çà et là de belles maisons déroulent leurs élégantes varangues au milieu de jardins bien entretenus. L’air est vif et frais, le vent souffle presque tous les jours, et les habitants du pays, les Saint-Pierrois, pour les appeler de leur nom créole, empruntent à ce climat une activité, une énergie qui leur sont propres et qui les fait aisément reconnaître par toute la Réunion. Saint-Pierre est l’antipode de Saint-Paul, et tandis que les négociants Saint-Pierrois, à la suite de nombreuses démarches, ont obtenu l’autorisation, de creuser un port, et reçu des subsides du gouvernement métropolitain et colonial, les apathiques Saint-Paulois en sont encore à demander la même faveur et à s’apercevoir qu’ils n’ont rien obtenu.

Pendant le peu de temps que je passai à Saint-Pierre, j’aimais à me rendre le matin sur les jetées, et de là je jouissais tout à l’aise du splendide panorama qui se déroulait à ma vue. Sur le rivage se dresse le mât de pavillon, et plus loin la ville, coquettement cachée au milieu des arbres de ses jardins, laisse à peine apercevoir quelques-unes de ses maisons. À l’horizon, sur le dernier plan, les gorges profondes de l’Entre-Deux, le Grand-Bénard, terminé comme un promontoire à pic, les trois Salazes, aux cimes dentelées, et enfin le Piton des Neiges, le géant de l’île, se dessinent successivement. On dirait une ligne uniforme de montagnes, une chaîne continue de porphyre et de granit. Les teintes sont heureusement variées, mêlées de bleu et de rose. Il faut choisir le matin pour jouir de ce grand spectacle, car dès que le soleil passe au zénith, des nuées blanchâtres s’étendent comme un rideau et, montant lentement le long de ces montagnes abruptes, finissent par les cacher tout à fait.

À droite est la plaine des Cafres, et derrière elle la plaine des Palmistes ; une route transversale, reliant Saint-Benoît à Saint-Pierre, les recoupe dans toute leur longueur.

La plaine des Cafres est devenue depuis quelques années le pays des paisibles cultures et de l’élève du bétail. On y fabrique du fromage et du beurre comme en Suisse et en Normandie, et au milieu de ses vertes prairies l’on peut s’abreuver de lait. Les bondons qu’on y confectionne ne craindraient pas d’entrer en concurrence avec ceux de Neufchâtel, et les légumes, surtout les pommes de terre, y sont de première qualité.

J’avais à choisir entre une excursion vers ces vastes campagnes, ou une tournée aux eaux thermales de Cilaos. Ce cirque, opposé à celui de Salazie, est beaucoup plus pittoresque. Il m’apparaissait de Saint-Pierre, s’étendant aux pieds des Salazes, du Gros-Morne et du Piton des Neiges. Je me décidai à en faire l’ascension, et je partis à pied un matin, avec un guide pour porter mon bagage. Les créoles montent d’ordinaire en chaise à porteur ; c’était là un mode de locomotion qui répugnait à ma qualité d’Européen, et surtout de touriste géologue. Quelques-uns, plus hardis, font cette excursion à cheval ; mais le chemin est en précipice tout le long du parcours, et je jugeai prudent de le connaître avant d’enfourcher une monture. En somme, quarante kilomètres de route, plus une différence de niveau d’un kilomètre en hauteur, ne me parurent pas composer les éléments d’une trop fatigante journée de marche.

Jusqu’à la rivière de Saint-Étienne, le chemin n’offre