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talité m’était offerte, croissaient des arbres à épices, derniers restes de ceux du siècle passé. Le cacao, le manioc, la vanille étaient également cultivés. Vers la rivière des Roches, le mangoustan, le jamalac, le jamrose couvraient le sol de leurs frais ombrages.

C’est de cette douce retraite où je passai quelques jours si heureux, que je partis un matin pour aller visiter les eaux thermales de Salazie. Elles sont situées à l’extrémité des gorges de la rivière du Mât, à près de mille mètres d’attitude. Ce n’est plus une localité tropicale, c’est une vraie situation alpestre, et les habitants de Bourbon viennent souvent, en été, demander à ces lieux la fraîcheur des contrées tempérées.

Tout le long de la rivière du Mât la route s’attache aux flancs d’une haute montagne, avec un précipice à pic en contre-bas, et au-dessus de l’abîme, des colonnes de basalte qu’on dirait prêtes à tomber sur la tête du voyageur. Le pont en charpente de l’Escalier, le pont américain de Salazie, marquent deux étapes de cette route pittoresque. Des framboisiers et groseilliers sauvages, des chouchous s’étendant sur le sol comme des lianes, croissent tout le long du chemin. Çà et là une source d’eau fraîche, qui parfois tombe en cascade, semble couler à dessein comme pour offrir au piéton un moyen peu coûteux de se désaltérer agréablement.

M. Manlius fils m’accompagnait. À Salazie, où nous nous arrêtâmes, il me présenta au créateur de ce village, M. Cazeaux, qui, en 1830, s’était fixé dans ce désert avec sa famille. Alors la rivière du Mât n’était pas pontée ; il fallait en chercher les gués à tâtons, et M. Cazeaux se rappelle l’avoir franchie plus de trente fois pour arriver au terme de sa course. Une année que l’orage avait gonflé le torrent outre mesure, il ne put descendre de tout un mois à Saint-André pour renouveler ses provisions, et il serait mort de faim sans un champ de citrouilles qu’il avait planté, et auquel il dut la manne providentielle qui le sauva lui et les siens.

Un docteur indien, à la Réunion. — Dessin de Mettais d’après une photographie.

Je passai la nuit à Salazie, et le lendemain avec l’aube je poursuivis ma route jusqu’aux sources thermales, par les rampes de la Savane et la Mare à poules d’eau, deux sites qui me rappelèrent, en miniature il est vrai, l’un les gorges sauvages des Pyrénées, l’autre les lacs paisibles de la Suisse entourés de sombres forêts. C’est par ce chemin pittoresque que j’arrivai au fond du cirque de Salazie. Je visitai l’établissement de bains, l’hôpital et quelques gracieux cottages des environs. Les eaux minérales se dégagent de deux sources différentes, l’une chaude à trente-deux degrés, l’autre à la température ordinaire. Elles sont ferrugineuses, gazeuses et alcalines. Elles ont été découvertes en 1831 par des chasseurs de cabris. On leur trouve beaucoup de ressemblance avec les eaux de Vichy, et, de même, elles sont employées avec avantage dans les maladies de foie et d’estomac. Fraîches, elles forment une très-agréable boisson et moussent comme l’eau de Seltz. Les travaux de captage des sources thermales n’ont pas été conduits avec assez de soin, l’eau du ravin voisin s’est mêlée avec l’eau minérale, et l’on est obligé de chauffer les bains pour les malades, ce qui fait perdre à l’eau une partie de ses éléments chimiques, et partant de ses propriétés médicales.

Le cirque de Salazie est avec le volcan du Grand-Brûlé et le cirque de Cilaos, deux autres localités que nous visiterons bientôt, un des points les plus curieux de l’île de la Réunion. Les montagnes qui forment le cirque s’élèvent à pic de toutes parts, elles sont couvertes d’arbres, et leur cime est souvent cachée dans les nuages. Le Piton des Neiges, le Gros-Morne et les Trois-Salazes, points culminants de l’île, apparaissent derrière le cirque et en forment comme le dernier plan. En se retournant vers Salazie, on aperçoit à sa droite la montagne ou rempart de la Fenêtre avec son rideau d’éternelle verdure, d’où s’échappent de nombreuses cascades à l’écume blanche qui tombe en poussière. Cette montagne a été ainsi nommée de la curieuse anfractuosité qui interrompt