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tant de valeur a mesure qu’elles se rapprochent des centres de civilisation.

Nous nous arrêtâmes le lendemain pendant quelques heures à l’île de Björkholmen, espèce d’oasis au milieu du lac sauvage de Skalka. Cette île produit assez de blé pour permettre aux deux familles qui la possèdent d’en vendre à leurs voisins. Le pain est ici un objet de luxe ; aussi est-il le plus souvent remplacé par la viande de renne fumée ou par le poisson séché au soleil. Un des paysans propriétaires de l’île nous fit visiter avec fierté ses vingt-quatre arpents de terrain ensemencé ; sa moisson promettait d’être abondante. C’était un homme intelligent. Il profita de notre halte chez lui pour se mettre au fait des événements survenus en Europe depuis la visite des derniers touristes qui, l’année dernière, étaient descendus dans son île. Nos victoires de Crimée parurent lui faire le plus grand plaisir ; seulement il avait peine à comprendre qu’on eût laissé à la Russie tout son territoire.

Les journaux sont ici chose inconnue, et on n’y connaît pas encore l’avantage de la poste aux lettres ; de temps en temps on apporte quelques vieux journaux à Jockmock, et quand, à la foire d’hiver, les Lapons viennent des alentours, ils ne laissent à leur pasteur ni trêve ni repos tant qu’il ne leur a pas raconté tous les incidents remarquables arrivés depuis l’année précédente, non-seulement dans le pays, mais dans le reste du monde. Durant leur séjour à la foire, ils font enregistrer sur le livré d’église les décès de l’année ; ils font aussi baptiser les enfants ; puis ils s’informent avec grande curiosité de l’âge qu’ils ont eux-mêmes, car c’est un détail que chacun d’eux a l’habitude d’oublier au bout de deux ou trois mois. Le bon prêtre passe des journées entières à feuilleter son registre pour leur rappeler l’année de leur naissance ou de leur mariage. Son presbytère est alors rempli, de la cave au grenier, d’une nuée de Lapons ; les plus généreux lui offrent un jambon de renne en arrivant. Après leur départ, toute la famille du pasteur est occupée, pendant quinze jours, du matin au soir, à purifier la maison des traces du séjour de ces demi-sauvages dont la malpropreté est au-dessus de toute description.

Le lac de Skalka.

À partir de Björkholmen, le pays devient plus pittoresque ; les montagnes ont des formes alpestres et varient continuellement d’aspect. Jusqu’à Quockjock, le voyage est des plus intéressants.

Nous avons traversé Granudden. Il a fallu naviguer et marcher toute la nuit. À quatre heures du matin nous sommes arrivés au hameau de Njawivi.

Pendant qu’on nous préparait du café, dans une des habitations, je m’étais endormi sur un banc ; tout à coup je m’éveillai au bruit que faisaient plusieurs per-