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Tous les grands suivaient le roi, et leur présence donnait au petit village un aspect inaccoutumé. Chaque cabane avait son hôte. Les plus riches seigneurs s’accommodaient du sol d’une étable sur lequel on avait étendu une couverture en feutre. Ils trouvaient tous moyen d’introduire leur confortable ordinaire dans ces misérables réduits. Le Persan est d’ailleurs satisfait dès qu’il à son kaléan et un tapis ; il emporte partout ces objets dont l’habitude lui a fait un besoin. De nombreux domestiques, affectés à des services différents et dirigés par un factotum, préviennent tous les désirs du maître. La vie nomade est restée dans les mœurs persanes. Pendant cette courte excursion, presque aux portes de Téhéran, on ne comptait pas moins de deux mille chameaux employés à transporter les bagages royaux ! On eût dit toute une armée marchant à la conquête d’un État voisin.

Le docteur, mon hôte, fut appelé chez le roi vers la fin de la journée. Il m’apprit, à son retour, qu’il y aurait encore repos le jour suivant. Le but de mon voyage paraissait manqué. Je n’avais plus qu’à repartir le lendemain matin pour Téhéran ; mais, grâce à un incident imprévu, mon premier espoir ne fut pas trompé.

J’avais fait deux petits croquis de ce paysage : l’un représentait un torrent en temps de neige ; l’autre, l’entrée de l’habitation royale avec tout le mouvement qui l’anime lorsque le souverain y séjourne. Dans la soirée, un parent du roi vint prendre le thé avec nous ; et, comme il aime le dessin, pour lequel il a d’assez heureuses dispositions, je lui montrai mes esquisses, dont il fit l’éloge, et se retira. Vers dix heures, je me roulai dans mon manteau et me couchai les pieds étendus contre un brasier qui devait durer toute la nuit.

Le lendemain, dès le matin, le roi m’envoya demander l’album qui contenait mes croquis. Un peu plus tard, une personne de sa maison vint m’inviter à assister aux chasses, de la part de Sa Majesté ; ce dont je fus enchanté. Le messager royal rapporta mon album, où une agréable surprise m’était réservée. La première page, qu’on laisse ordinairement en blanc, avait été remplie par un dessin du Schah, figurant son premier interprète. Cette gracieuse attention ne me fut pas moins agréable que l’invitation dont elle était accompagnée.

Je restai donc l’hôte du docteur et j’assistai aux visites nombreuses dont il était accablé : nous ne nous en débarrassâmes qu’en sortant nous-mêmes pour en faire quelques-unes. Ici, en effet, un homme de la science est une sorte de magicien autour duquel chacun s’empresse ; et jamais les clients ne manquent au médecin. Le nombre des gens atteints de maladies des yeux est considérable ; le Persan se laisse devenir aveugle avec une incroyable imprévoyance. La cécité ne frappe, il est vrai, que les personnes d’une constitution telle que leurs excès ne les ont pas empêchées de parvenir à un âge avancé ; les autres n’échappent à la maladie que par une mort prématurée, résultat ordinaire des fatales habitudes qu’on a si souvent reprochées aux peuples de l’Orient. Les enfants, peu robustes, ne s’élèvent pas.

Il avait neigé toute la matinée, le temps paraissait se remettre au beau. Je voulus tenter une excursion dans la montagne avant le départ de la chasse, et je me fis précéder d’un cavalier. Nous partîmes en suivant, autant que possible, les endroits où nous supposions que la route avait été frayée la veille par d’autres chevaux ; et, comme nous ne pouvions distinguer cette trace que par une dépression presque insensible de la nappe uniforme de neige nouvelle, nous avancions difficilement, car nos chevaux s’enfonçaient souvent jusqu’au poitrail. Nous avions à peine parcouru une lieue qu’ils commençaient à se fatiguer. Tout à coup, nous fûmes arrêtés par un ravin, où toutes traces cessaient devant une excavation indiquée par l’abaissement brusque de la neige, dont la couche épaisse paraissait avoir cédé aux efforts d’un cavalier cherchant à y prendre pied. Le gélodar, qui m’accompagnait, regardait d’un air piteux ce grand trou nous barrant le passage, et m’examinait avec anxiété pour deviner le parti que j’allais prendre. Il dut être satisfait de ma prudence ; car, peu soucieux de renouveler une expérience qui avait été probablement fatale à quelqu’un, je me décidai à rebrousser chemin pour ne pas braver témérairement un péril inutile.

Je profitai de l’interruption de ma promenade et j’allai étudier le petit village de Kend aux rues malpropres.

Ainsi que la veille, un tapis me servit de lit.

Les mendiants, les loutis (montreurs de singes) ainsi que les bacals (marchands de légumes, de riz, d’épices et de sucre) établissent généralement, pendant les chasses, un marché où s’approvisiounent la suite du Schah et les troupes qui le gardent. Il se forme une espèce de village près de tout campement royal, ne durât-il qu’une nuit ; les conteurs d’histoire et les derviches abondent aussi dans le voisinage.

Quelques rayons de soleil s’étaient enfin montrés vers la fin du jour, sans motiver cependant le déshabillé d’un derviche nègre n’ayant pour tout vêtement, jusqu’à l’abdomen, qu’un chapelet passé en sautoir.

Ses cheveux crépus étaient taillés en forme de cornes ; il portait sur l’épaule gauche une grosse massue en fer. La vue de cet ornement faisait frissonner.

Pour diminuer l’ennui de l’immobilité qu’il me fallait obtenir momentanément de ce type que je voulais reproduire, je lui fis apporter la pipe et le café, en échange desquels il parut disposé à me sacrifier son indépendance en restant indéfiniment à mon service ; mais, quoique, à en juger par le mince jupon qui couvrait la moitié inférieure de son individu, il ne dût pas m’entraîner à beaucoup de frais, je le refusai en lui vantant une liberté dont il usait si largement. Pauvre Africain d’origine ! il est peu probable que ses parents aient pu profiter du même privilége. Il me fit beaucoup d’éloges des Européens. Sa politesse cérémonieuse avait quelque chose de très-original, dans l’état de nature qu’il avait adopté. Il se contentait, pour abri, d’un dessous de porte où il passait la nuit, roulé dans ses haillons, et il se nourrissait de la desserte quotidienne du nombreux personnel que tout Persan traîne après lui.