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Nous allions au désert pour y chasser la gazelle, en nous proposant, cependant, de ne pas laisser échapper tout autre gibier qui s’offrirait à nous.

Pour tromper la monotonie de la route, nos cavaliers libres prirent quelque avance en se poursuivant et faisant le simulacre d’une escarmouche à deux, qu’on désigne par le nom de fantasia.

Nos faucons, de la grande espèce, étaient fiers et silencieux ; nos lévriers, qui devaient forcer la bête tandis que les oiseaux la harcèleraient pour ralentir sa course, gémissaient ou hurlaient en tirant leurs cordes ; nos chevaux piaffaient.

Le temps était beau ; nous étions tous pleins d’ardeur. Cependant il fallait prendre patience, car une vingtaine de lieues nous séparaient du centre de la solitude où devait s’exercer notre adresse.

Le premier jour, nous traversâmes Véramine et ses ruines.

Les lévriers du Vali, trop impatients, mirent en pièce un pauvre lièvre qui avait eu l’imprudence de passer près d’eux ; mon palefrenier et ses chiens en prirent plus paisiblement deux, ainsi qu’un renard.

Pour faire honneur au Vali, on organisa, dans la maison où nous passâmes la nuit, une petite fête avec des musiciens, dont le bruit dominant est le son d’un tambour de basque qu’un chanteur fatigue de ses doigts en le faisant servir de conducteur à sa voix. Il est rare qu’un des musiciens ne s’élève pas à la qualité de conteur d’historiettes selon la volonté du maître qui le fait jouer. On demandait à l’un d’eux ce qu’il pensait des étrangers que l’on attirait dans son pays pour tâcher d’appliquer quelques sciences occidentales en Orient. Il répondit que cela devait être très-bon, puisque Dieu avait recommandé de s’instruire ; mais qu’un sage avait raconté qu’un corbeau, jaloux depuis longtemps de voir marcher les perdrix avec tant d’élégance, voulut s’étudier à marcher comme elles. Lorsque, après des essais inutiles, la fatigue et le découragement le saisirent, il avait vicié sa nature sans atteindre le but qu’il se proposait. La marche du corbeau ne lui était même plus familière.

Notre hôte, voulant ajouter à sa bonne réception, nous fit amener, par un eunuque noir, sa fille d’environ quatre ans très-richement habillée.

Je m’en approchai, et, contrairement aux enfants qui se détournent des Européens, elle fixa ses yeux sur moi aussi curieusement que je la regardai moi-même ; je lui pris la main et la caressai. Je remarquai ses beaux sourcils joints par une ligne très-fine et élargis ainsi que ses yeux au moyen d’une teinte bleuâtre. Elle était coiffée d’une calotte d’étoffe d’or couverte d’un voile brodé en or. Son vêtement se composait d’une chemisette à manches longues, fendue par devant et recouverte d’une veste à raies, dont les manches, collantes jusqu’aux poignets, se prolongeaient d’abord en ogives jusqu’à l’extrémité des doigts pour se relever ensuite sur l’avant bras ; un jupon de brocart bleu et or, descendant à mi-jambe, était attaché si bas qu’il laissait à nu le ventre de l’enfant, dont le nombril était cerclé d’une couronne en tatouage. L’habillement se complétait par un coulidjé en brocart rouge et or, qui est une redingote courte et plissée, à manches ne dépassant pas le coude ; de jolis souliers rouges chaussaient ses petits pieds, nus comme ses jambes. Une ficelle attachait au cou de l’enfant un morceau d’os de chameau, une noisette et une pierre bleue, en façon d’amulettes.

J’ai détaillé ce costume parce qu’il représente, en miniature, celui des femmes persanes.


Chasse à l’oiseau. — L’houbara.

Le lendemain, nous commençâmes la chasse à l’oiseau. Un houbara (petite outarde) fut notre première victime.

Voici comment on chasse à l’oiseau : le fauconnier, après avoir ôté le chaperon qui aveuglait le faucon, présente celui-ci à son maître, qui le maintient sur sa main gantée au moyen d’un lien en cuir attaché aux pattes. À jeun depuis la veille, l’oiseau voit ou sent sa proie avant que le chasseur puisse l’apercevoir ; son émotion se témoigne par la fixité de son regard et le mouvement de son cou ; le chasseur s’avance jusqu’à ce qu’il voie lui-même l’houbara, et donne alors la liberté au faucon, en ouvrant simplement les doigts.

Le vol du faucon, rapide comme la flèche, suit d’abord une direction horizontale ; ensuite, il s’élève de manière à dominer sa victime (on peut bien dire « victime, » car il est très-rare qu’il manque son coup). Le choc de sa serre est terrible, l’oiseau tombe avec lui. La mort de l’oiseau n’est cependant pas toujours instantanée : il peut y avoir lutte ; mais, jusqu’à ce que la victoire soit complète, le faucon se tient fièrement au-dessus de sa proie. On accourt. Il faut se presser si l’on veut conserver la capture intacte ; car le faucon fait rage : il arrache les plumes et il engloutit la chair avec une voracité non-seulement dommageable pour la prise, mais nuisible aussi aux facultés chasseresses du vainqueur. Le faucon, en effet, ne chasse bien que lorsqu’il a été privé de nourriture. Tandis qu’il s’acharne sur sa proie et la dévore, ses ailes s’agitent avec violence ; et, comme elles sont longues, elles battent le sol, se froissent et se brisent ou s’usent. Aussi, le fauconnier s’empresse-t-il de descendre de cheval ; il court, s’agenouille et encadre, pour ainsi dire, de ses genoux le faucon, de manière à éviter le contact du sol aux grandes plumes ; puis il cherche à dégager la proie en glissant un morceau de viande à sa place, en même temps qu’il tire peu à peu à lui l’oiseau chasseur, au moyen de la petite lanière nouée au-dessus des serres ; enfin il le repose sur son poing.

J’ai vu prendre quatre houbaras ; un cinquième, plus grand que les autres, à peu près gros comme une oie sauvage, après avoir cédé au premier choc, blessa le faucon et parvint à s’échapper.

Le houbara est très-joli. C’est une espèce d’outarde au plumage gris jaune parsemé de taches brunes. Il a une aigrette sur la tête et un jabot de plumes longues, effilées, blanchâtres, dont les bouts sont noirs ; son cou est