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ments sont d’un goût exquis et copiés sur des gravures de la dernière mode, serait farder l’austère vérité ; nous aimons mieux avouer franchement qu’il y a dans la coupe habituelle du corsage et des manches, dans l’écourtement et le peu d’ampleur de la jupe, ce cachet guingué (un mot non encore francisé de l’illustre Balzac) qui caractérise les modes du temps de la Restauration et donne aux femmes de cette époque une certaine ressemblance avec les oiseaux du genre échassier. Quelques élégantes d’Arequipa portent, avec le haut peigne d’écaille des Andalouses, des touffes postiches de ces boucles pleureuses importées d’Albion sous le nom d’anglaises, et dont la nuance n’assortit pas toujours heureusement avec celle de leurs cheveux. Ces lionnes arborent volontiers l’oiseau de paradis, l’aigrette en ver filé de fabrique allemande, ou des bijoux-papillons montés sur un fil de laiton en spirale, qu’elles nomment tembleque et qui tremble au moindre mouvement. Le climat du pays rendant l’éventail à peu près inutile, les femmes l’ont remplacé par un sac de soie ou de velours, à monture d’acier et à chaînettes du même métal, qu’elles portent à la main et balancent coquettement en allant faire des visites. Cette manière d’encensoir, appelé ridicule, qui caractérisa chez nous la période élégante de 1815 à 1820, fera sourire nos excellentes mères au souvenir du temps passé.

Dame d’Arequipa en costume d’église, accompagnée de son porte-tapis.

Les étoffes en honneur dans la ville et la province d’Arequipa sont la soie unie et brochée, d’une nuance vive, l’indienne à gros pois ou à ramages exorbitants, la mousseline à larges raies ou à bouquets multicolores. Ajoutons que l’indienne et la mousseline dont se parent les petites bourgeoises et les chacareras, ou fermières de la banlieue, ne sont portées qu’en négligé d’intérieur par les femmes de l’aristocratie. Dans les occasions solennelles et les jours de gala, ces dernières abandonnent le rebos ou mante en laine de Castille, qu’elles portent chez elles pendant toute l’année, pour courir la ville en cuerpo, c’est-à-dire décolletées comme pour le bal, et les bras nus. Les femmes de santé délicate, auxquelles une exhibition de ce genre pourrait occasionner un resfrio, un costado, une pleurésie, car le climat d’Arequipa est assez variable, ou celles dont les clavicules et le sternum ont un relief trop apparent, couvrent leurs épaules d’une écharpe légère ou d’un châle de crêpe de Chine de couleur éclatante. Leurs pieds, d’une petitesse et d’une distinction parfaites, sont toujours chaussés de bas de soie et de souliers de satin blanc, détail élégant, qui donne à leur marche je ne sais quoi de gracieux, de léger, de trotte-menu, dont l’œil et l’imagination sont également charmés.

Le port et l’allure des Péruviennes, ce garbo et ce meneo qu’elles tiennent des Espagnoles par leurs pères, s’accommodent mal des corsets à haute pression, des buses d’acier, des cerceaux et des fils de fer qui font la gloire et le triomphe des Parisiennes. Aussi la généralité de ces charmantes femmes — notre main tremble en écrivant ceci — portent-elles assez gauchement nos modes françaises ; et maintenant que ce fatal adverbe est lâché, dussions-nous exciter la colère et l’indignation du sexe aimable dont nous avons entrepris de tracer la monographie, nous avouerons qu’à la femme d’Arequipa, traversant la rue en grande toilette, ridicule en main, papillons ou plumet de cristal en tête, nous préférons la même femme en déshabillé local, peignoir ample à triples volants, châle orange ou ponceau drapé en péplum, une rose dans ses cheveux, nonchalamment couchée sur un sofa ou accroupie sur un tapis et poussant vers le ciel la fumée d’un cigare.

Avec leurs toilettes de ville, leurs négligés d’intérieur et leurs habits à monter à cheval, car la plupart de ces dames sont des écuyères de haute école, elles ont un costume d’église, invariablement noir, lequel se com-