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dirigeait notre petite caravane, et nous nous en sommes bien trouvés.

Nos trois voitures se sont arrêtées sur la hauteur de Svendborg, où nous sommes descendus. Pendant qu’on les conduisait à l’auberge, nous parcourions ce plateau merveilleux qui domine la ville, dont les toits rouges s’étagent en pente douce jusqu’à la mer. L’horizon était immense en étendue, en variété. Les îles émergeaient des grandes eaux. La Baltique n’a rien de plus charmant, de plus exquis, de plus magique, de plus riant, de plus sublime que cet archipel qui verdit de toutes parts au milieu des vastes flots bleus. Ces flots, c’était la mer que nous contemplions d’une île, de l’île de Fionie. Et c’étaient d’autres îles qui végétaient, qui fleurissaient dans l’amplitude de cette mer féconde. Des îles, et des îles surgissaient auprès et au loin. C’était d’abord l’île de Taasinge ; puis, au delà, Strynô et Strynôkalv ; puis, à notre gauche, Thurô, Langeland et Laaland ; puis, à notre droite, Skaarô, Dreio, Als, Œrô, Avernakô, Hjortô, — en tout treize îles, dont quelques unes, telles que la Fionie, Laaland, Langeland, seraient de petits royaumes. La Fionie a deux cent mille habitants ; Laaland en a soixante mille, et Langeland vingt mille ; Als en compte dix-huit mille, et Taasinge cinq mille.

Les moissonneurs danois. — Dessin inédit de Frölich.

Nous avons glissé par les sinuosités des haies, parmi les bluets, les coquelicots et les marguerites, jusqu’au rivage. Des bateaux pavoisés étaient prêts. Nous avons navigué d’île en île, de golfe eu golfe, dans les labyrinthes de l’archipel cher au dieu Thor. Le firmament d’Odin était sur nos têtes, la mer d’Œgir était sous nos pieds. Nous avions partout des relais d’eau et de terre. Nous nous embarquions et nous débarquions tour à tour. Nous passions des voitures aux bateaux et des bateaux aux voitures. Deux repas, à six heures de distance, nous ont été servis, l’un dans l’île de Taasinge, l’autre dans l’île de Fionie, à l’abri du soleil et du vent. Tout avait été transporté par un fourgon de Glorup : vins, gibiers, pâtés de chevreuil, gâteaux et fruits. Les perspectives de la mer et des îles nous enchantaient à la fois les yeux et l’imagination. Les bois de chênes et de frênes, les bouquets de saules et les forêts de hêtres dont les murmures s’harmonisaient aux murmures des vagues, couvraient les collines et s’avançaient de déclivités en déclivités jusqu’à la mer. Rien de plus féerique. Les grands arbres poussaient leurs rameaux et leurs racines au-dessus et au-dessous des fiords. Les navires à voiles fendaient les flots, et leurs sommets mobiles se confondaient dans des circonvolutions inexprimables avec les clochers des îles. Les toits de chaume ou de tuile sortaient des feuilles, les cordages et les pavillons des vaisseaux sortaient des anses. C’était un songe, et pourtant c’était une réalité.