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C’est par un de ces éblouissements de l’atmosphère que nous avons entrevu Holsten-House, l’une des résidences du baron de Holsten-Carisius. Le baron de Holsten est un noble vieillard dont la physionomie est fine, le cœur bienveillant et la conversation aimable. Indépendamment de son fief près d’Odensée, il a d’autres fiefs en Jutland et en Fionie, un particulièrement à Faaborg, d’où la Baltique avec ses îles a l’aspect d’un firmament avec ses étoiles.

Arrivés à Odensée vers onze heures, nous nous sommes reposés un peu dans un très-beau salon de l’hôtel de la poste. Nous avons été ensuite à la cathédrale. Elle fut bâtie du onzième au seizième siècle, elle est d’un gothique très-léger et très-lyrique. Elle a des tribunes comme un théâtre. Cette disposition architecturale témoigne de l’aristocratie d’Odensée. Tandis que la bourgeoisie prie dans les stalles, la noblesse prie dans les tribunes. Il y a la tribune royale, la tribune épiscopale, la tribune du gouverneur militaire, la tribune des Rantzau, la tribune des Ahsefeld. Ce sont encore, c’étaient surtout autrefois les inégalités d’une cour dans la maison de Dieu, et tous les degrés de l’orgueil humain dans le temple de l’humilité chrétienne.

Les chapelles sont très-curieuses.

Il y a d’abord la chapelle de Ahsefeld, qui renferme des tombeaux en bronze sculpté, des armures en acier, et des sépultures de marbre d’un goût barbare très-original.

La chapelle des Walckendorf contient une bière de bois ciselé où la femme semi-officielle de Christian IV, Christine Munch, a été embaumée. Mon hôte, qui était mon guide et devant qui tombaient tous les obstacles, m’a mené à cette bière, l’a fait ouvrir, et j’ai pu contempler, sous les voiles de la mort, celle que Christian IV, appelé ici le Béarnais du Danemark, a le plus aimée. Elle est admirablement conservée. Ses mains, malgré les plis du temps et du trépas, sont fines, délicates, artistiques. Elle eut de Christian six filles et trois fils, dont aucun ne régna.

Les bas-reliefs au-dessus du sépulcre de Christian II, un comte de Rantzau buriné en granit sur les dalles, et une plaque d’airain travaillée, derrière laquelle sont les os d’un prince Canut assassiné, méritent encore d’être examinés dans cette église.

Nous avons fait le tour du palais, dont les jardins seuls sont dignes de l’attention du voyageur. Nous avons erré longtemps sous les grandes ombres des tilleuls et des peupliers, puis nous avons descendu le faubourg du Canal.

Ce canal, un débouché jusqu’à la mer, est fort intéressant. Rien de plus pittoresque, de plus frais que ses courbes de verdure. Il ne faut pas manquer d’en suivre les bords pendant une demi-lieue. Les vaisseaux passent, repassent avec les voiles au vent ; et leurs mâts font frissonner, en les touchant, les ormes, les bouleaux et les hêtres des rives. C’est par ce canal que s’écoulent en partie les moissons de l’île. En revenant vers la ville, nous apercevions la flèche de la cathédrale à travers les cordages des navires, et l’édifice religieux paraissait un vaisseau de plus à l’ancre. Cette cathédrale, vue du petit pont, et s’élevant de la rivière vers le ciel avec ses masses rouges et ses toits de métal, par toutes les spirales des verdures d’une presqu’île humide, offre, dans un contraste surprenant, le spectacle de jeunes fécondités de la végétation pressant de leurs flexibles rameaux la vétusté la plus monumentale des traditions.

Nous nous sommes arrachés à cette perspective, et nous avons exploré la ville rue par rue, maison par maison. Elle est partout en fête, cette ville, et c’est un jour ordinaire ; c’est le moins brillant de ses jours. Cependant elle nous rit de toutes ses façades, grises, blanches, brunes, vertes, roses, lilas. Il y a des maisons neuves et des rues neuves en lignes droites ; il y a de vieilles rues et de vieilles maisons en lignes brisées. On reconnaît sans peine ce qui appartient aux ingénieurs, aux architectes modernes, et ce qui appartient au passé, — au passé le plus reculé, le plus lointain, le plus mystérieux. Odensée était une cité, qu’aucune pierre de Copenhague n’avait encore été tirée de la carrière. Avant que la capitale de la Séeland fût nommée, Odin avait fondé la capitale de la Fionie de son gantelet de conquérant et de héros.

Le caractère distinctif de cette capitale, de cette oasis de briques et de pierres, dans une île d’émeraude, au milieu d’une mer d’azur, c’est la propreté des maisons, des rues, des ruelles, des carrefours. Cette propreté est si exquise, qu’elle n’apparaît pas seulement comme une élégance, mais comme une vertu. On se sent touché de respect pour ce peuple. Après avoir bien observé cette ville jusque dans ses faubourgs les plus reculés, cette ville sans boue et sans tache, cette ville dont l’hermine pourrait être l’emblème, j’ai conclu que les femmes y devaient être relativement plus chastes et les hommes plus honnêtes, tant il y a d’affinités secrètes entre ces recherches, ces lustrations, ces sollicitudes universelles de propreté et la pureté morale des âmes.

Mais Odensée ne s’en tient pas là. Son doux génie ne se contenterait pas de si peu. Elle réalise la poésie de l’ordre. Elle transforme ses rues en jardins, ses maisons en serres. Toutes ses fenêtres, au rez-de-chaussée, au premier et au second, quand il y a un second, sont parées de cent mille pots de fleurs, au moins. Les caisses de roses, d’œillets, d’héliotropes, d’hortensias, de résédas, de fuchsias, de giroflées, s’épanouissent partout, au dedans, au dehors, à tous les étages, sur tous les seuils, à tous les balcons, dans tous les recoins. Et des cages s’encadrent aux treillages, devant ou derrière les vitres, à travers les merveilles de ces parterres aériens. Cette ville laisse au cœur une impression ineffable. On emporte de ses communications avec elle un rêve d’amour voilé, des myriades de parfums et de chants, le souvenir et l’aspect d’un idéal immaculé. Odensée est parmi toutes les cités la cité vierge. On appelle la Fionie le jardin du Danemark. À tous les titres Odensée en est bien légitimement la capitale.

Le ciel est bleu, l’étang est rose sous les premiers