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Les maisons des riches paysans sont fort cossues. Elles ont toutes des alcôves, de magnifiques poêles auxquels sont suspendues des pipes énormes. Les lits sont bons, les chaises, les fauteuils, les tables, les commodes, les armoires très-solides. Les bassinoires en cuivre rouge ou jaune reluisent comme de l’or. Les horloges sont justes ; les estampes du Christ, de Christian IV, de Frédéric VI et de Napoléon, bien encadrées ; les Bibles, bien reliées. Les secondes maisons assurément ont moins de luxe que les premières, et les troisièmes, moins de bien-être que les secondes. Cependant elles ont toutes, même les dernières, non-seulement le nécessaire, mais l’utile. Chez ceux qui passeraient pour pauvres, s’il y avait ici des pauvres, j’ai remarqué des bassinoires et des gravures, — du superflu relatif.

Toutes ces maisons, d’ailleurs, à quelque catégorie qu’elles appartiennent, ont à leurs fenêtres des rideaux et des pots de fleurs.

Les hommes des côtes ont des maisons plus indigentes, quoique aucune ne soit dénuée. Seulement, il est vrai que les pêcheurs sont moins opulents que les paysans. La mer est plus fallacieuse, plus sourde et plus avare que la terre.

Je désire constater ici un fait qui honore les moindres hameaux du Danemark. Sur cent paysans, cinquante à peu près ont des vaches, et ces privilégiés-là donnent du lait à ceux qui n’ont point d’étables, ou qui ont des étables vides. Ce lait, je le répète, ils le donnent, ils ne le vendent pas. Les mêmes donnent aussi, de temps en temps, de la bière, qu’ils font avec du houblon et de l’orge. Cette bière, très-forte, ne vaut pas la bière allemande ; elle est meilleure à la santé qu’au goût.

Ordinairement le peuple ne boit pas de vin. Quand il en boit, c’est dans les jours de fête, et ce vin est mauvais. Il n’y a presque pas d’ivrognes en Danemark, et très-peu d’enfants naturels. Le mariage est sacré, l’amour illégitime, très-rare.

Tout le monde, dans cet excellent pays, a un confortable plus ou moins large, selon les fortunes. C’est déjà un assez grand prodige que personne ne souffre, que le besoin soit secouru efficacement, dès qu’il est soupçonné.

Qu’on juge, au reste, de la situation d’un peuple qui, sous les plus humbles cabanes, consomme ses six repas aux heures et dans les conditions suivantes :

Le premier repas se fait à cinq heures du matin : il consiste en soupe à la bière et en jambon frit.

À dix heures, c’est le second repas. Il se compose de longues beurrées avec du lard. Sur la table les pipes sont chargées près du flacon d’eau-de-vie et du pot de bière.

Le repas de midi est d’un gâteau d’œufs et d’une soupe au lait, après quoi on ne se refuse point une sieste d’une heure.

La sieste finie, chacun prend le café, ce qui est un quatrième repas.

Le cinquième repas est fixé à cinq heures du soir. Il est le même qu’à dix heures du matin. Les beurrées au lard recommencent.

À huit heures, la journée se termine par une soupe au lait, des pommes de terre et de la viande, c’est le sixième repas ; le sommeil vient ensuite.

Je garantis tous ces détails, sur aucun desquels je ne serai démenti. J’ai la conviction, et plus que la conviction, — la certitude d’un témoin.

La richesse n’est qu’une des branches de la civilisation du Danemark ; elle n’est pas la civilisation entière. Il s’en faut. La civilisation du Danemark, et en particulier de la Fionie, c’est aussi son instruction ; une instruction générale qui luit même dans la demeure de chaume des paysans, et qui comprend des notions d’agriculture, de géographie, d’histoire, de calcul, de philosophie pratique. La civilisation de ce pays est plus que cela ; c’est encore l’instinct de son honneur national, l’aspiration à la liberté, à la dignité, la bravoure sur terre et sur mer, enfin une merveilleuse identification avec la Bible, ce livre de tous les foyers, cette seconde âme, cette âme traditionnelle, qui, en faisant de Dieu le génie intime de chaque famille, rend un peuple entier religieux, touche en lui la fibre de la conscience et développe le sentiment moral sous tous les toits.

Telle est, si je ne me trompe, la civilisation du Danemark. Elle est très-grande ; elle est supérieure à la civilisation de l’Espagne et de l’Italie superstitieuses, à la civilisation de la France, où l’ignorance dénature les plus beaux élans, à la civilisation de l’Angleterre, trop endurcie en haut par l’accumulation de l’argent, trop corrompue en bas par les vices de la misère.

Un jour, après le repas, j’ai assisté et la lecture des psaumes dans une maison de paysans. Un enfant jouait entre des pots de fleurs, avec un grand chien noir aux crins soyeux. Une jeune fille scandait en danois les versets sacrés. Le père et la mère écoutaient. Un vieillard, l’aïeul, en cheveux blancs, était adossé tout pensif à son fauteuil. La voix, les regards, les physionomies, les lèvres, tout priait.

Les mariages des paysans durent ici sept jours. On mange et on danse trois jours avant et trois jours après. Le jour le plus intéressant à observer est naturellement celui de la célébration.

Les jeunes gens à cheval précèdent le couple à l’église. La cérémonie est faite avec une pompe champêtre par le pasteur, puis les mariés s’en retournent comme ils sont venus, aux fanfares agrestes de la musique. Tous les repas qu’ils donnent sont apportés, mets par mets, des hameaux voisins. Le marié est très-paré ; la mariée l’est encore plus ; elle a une sorte de diadème où les fleurs se mêlent à l’or.

Aujourd’hui, à Svindinge, cent personnes au moins étaient à une noce. Avant de dîner les époux se sont placés à l’extrémité d’une longue table. Chacun des convives à son tour a déposé dans un plat de faïence recouvert d’une serviette une pièce d’argent. Quand tous ont eu offert leurs présents, le mari a enlevé la serviette pleine et l’a jetée dans un coffre. Il y avait dans cette serviette,