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de la baie jusqu’au Pirée. Dunoyer eut besoin de toute sa science d’écuyer pour contenir l’enthousiasme de son cheval, et notre ami Typaldos, de toute son éloquente causerie pour nous distraire des rayons ardents qui dardaient sur nos têtes. Nous étions aux premiers jours du printemps ; sous la chaude et transparente lumière, tout bourgeonnait et fleurissait joyeusement.

J’ai dit, je crois, en commençant ce récit, ce village en parlant du Pirée ; je m’en aperçois à temps, bien heureusement, et je fais mes humbles excuses à ses habitants. Le Pirée est une ville ; il y a des trottoirs, des réverbères, des hôtels, des cafés, d’élégantes boutiques de pâtisseries, peintes à frais à l’italienne, en couleurs réjouissantes, des messieurs en habit noir et des mesdames en chapeau. Ainsi donc le Pirée est une ville, et ne pas le reconnaître serait une ingratitude de ma part, car vraiment ce jour-là elle nous fit une entrée triomphale. Toute la rade était pavoisée, et il y avait bien environ quinze gamins qui couraient devant nos chevaux ; les jeunes filles étaient aux fenêtres, et dans l’air printanier voltigeaient, semblables à des libellules, bien des sonetti d’amore.

« Il fait bien chaud aujourd’hui. » Tel était le refrain qu’on entendait de tous côtés, il fit tellement chaud, en effet, que le lendemain la terre en trembla. Je n’oublierai jamais ce moment critique : nous étions à table, je vis mon vis-à-vis monter, redescendre, puis remonter encore, en faisant force signe de croix : Terremoto ! terremoto ! criaient les garçons en s’enfuyant.

Il n’y eut à l’hôtel d’Orient qu’un peu de sauce répandue sur la table ; mais à Corinthe, la ville fut en partie détruite.


Le Pentélique. — L’Hymette. — Le Parnès.

La promenade que préfèrent les Anglais est celle du Pentélique. Ils enfourchent, pour cette ascension, des chevaux de louage, et traversent la plaine en se soulevant sur les étriers avec cette élégance mécanique qu’on leur connaît. Un agoyate (loueur de chevaux et cicerone) les précède chargé de vivres. Arrivés au pied des célèbres carrières, d’où l’œil embrasse l’horizon de Marathon à Salamine, ils font sauter les bouchons. Έν οινω άληθεια, dit le proverbe grec. Les Grecs sont sobres et ne cherchent pas la vérité ; les Anglais ne l’ont pas encore trouvée ; ils gagnent à cette recherche de terribles coups de soleil ; mais un fils de l’Angleterre ne transige jamais avec ses principes : s’il meurt, un autre achève son verre.

L’ascension de l’Hymette est plus facile. Le miel de l’Hymette est toujours en grande réputation, les fleurs du rhododendron et le suc du païka lui donnent un parfum et une saveur qui le font préférer même au miel de Cytheron. On le récolte à Kaissariani, dans un ancien couvent. Du sommet de la montagne, la vue s’étend jusqu’à Sunium. « Bienheureux sont les sommets qui voient la mer aux vagues blanchissantes ! »

Le temple de Sunium. — Dessin de M. A. Proust.

J’ai conservé de cet étroit plateau un souvenir particulièrement intime. Par une froide matinée de janvier, je trouvai là, enfouie sous la neige, une tortue que longtemps nous avons gardée dans notre appartement, en compagnie d’un mouton. Le mouton gambadait et sautait jusque dans la salle où il devait être un jour mangé ; mais la tortue dépérissait et jetait souvent un regard humide vers la campagne. Le mouton est une stupide bête qui n’a aucun souci de la liberté, mais la tortue n’aime pas l’esclavage. Nous n’eûmes jamais le courage de l’accommoder aux épices, et nous lui rendîmes sa liberté quand le printemps fut revenu.

Mais ce confiant animal a un terrible ennemi dans l’aigle, et nous avions a peine fait quelques pas, qu’un d’eux se saisit de l’infortunée, l’éleva très-haut dans ses serres et la laissa retomber rudement sur les rochers ;