pas à vous apercevoir que le groupe des dilettanti qui rit des classifications hiérarchiques et sait trouver l’homme sous l’habit est plus nombreux qu’il ne paraît. À mesure qu’on pénètre dans l’intimité de chacun, on retrouve les vrais caractères de la race : ce sentiment de l’égalité ; initiative individuelle, antipathie profonde pour nos usages disciplinaires. On entend dire aux Athéniens, en parlant de nous : « les Européens, » comme s’ils habitaient l’autre rive du Bosphore. Du reste, l’antagonisme des Grecs et des Latins ne date pas d’aujourd’hui ; rien n’a pu rester commun entre eux, pas même la religion, tant les idées procèdent différemment. Pendant que l’individualité, inhérente à leur caractère, faisait d’eux les rivaux du commerce anglais, les institutions européennes n’ont eu pour résultat qu’une parodie misérable de nos usages. C’est une bien étrange et bien ridicule prétention en effet que de vouloir mesurer tout le monde à son aune et de condamner ceux que notre habit gêne. L’expérience a cependant prouvé contre ce despotisme, car si on se rappelle la joie de l’Europe en voyant les fils de Mahomet vêtir l’indispensable, on n’a pas oublié son désappointement quand l’enveloppe craqua à leur premier mouvement. Mais nous n’en persistons pas moins à imposer doctement nos habitudes et nous sommes les dignes descendants de Vaucanson. « Parlez donc français, si vous voulez qu’on vous comprenne, » disait un de mes compatriotes récemment débarqué au cameriere de l’hôtel d’Orient. Pendant mon séjour à Scutari, je voyais chaque matin d’infortunés Turcs, dressés par un officier anglais à l’école de peloton ; ces malheureux tombaient souvent et faisaient toujours ce qu’on appelle vulgairement du bœuf à la mode. L’officier entrait dans des colères furieuses, maudissait tout le monde et s’en prenait même à Dieu, au diable, à tous les saints : il eût été si simple de rendre à ces cavaliers les selles turques !
La société athénienne, éduquée à l’européenne, ressemble assez à un jardin d’acclimatation où rien ne serait encore acclimaté, mais où on négligerait la culture excellente des plantes naturelles.
Les premiers prôneurs de l’élément occidental ont été les Phanariotes. Ces familles réfugiées après la conquête de Constantinople au Phanar, quartier de Stamboul, et enrôlées au service ottoman dans la diplomatie et l’administration des provinces tributaires, avaient depuis longtemps adopté les usages de l’Occident. Ils ont même tenté la création d’une noblesse et se sont conservé entre eux leurs titres administratifs, mais ces prétentions nobiliaires n’ont pas dépassé en Grèce le seuil de leur porte et ne s’étalent pompeusement qu’à l’étranger.
« Il manque aux Grecs une aristocratie, » s’est écrié un écrivain anglais. Eh bien ! n’en déplaise à cet écrivain,