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cendant des premiers possesseurs du pays, contraste singulièrement avec tous les autres types.

Je passai deux semaines à visiter San Francisco, et j’y prolongeai d’autant plus volontiers mon séjour que la maison hospitalière d’un compatriote, M. T…, s’était ouverte à moi. Je n’ai jamais professé un goût bien prononcé pour la vie à l’hôtel à l’américaine, et j’acceptai de grand cœur, après un voyage de deux mois, l’offre que me fit M. T… de m’accueillir dans sa demeure. La maison était située loin du centre de la ville, hors du bruit et des affaires, et un gracieux jardin, soigné par le maître lui-même, embellissait cet agréable séjour. Un moulin à vent coquet, comme tous les jardins de la ville en possèdent, était mis en mouvement par la brise qui soufflait régulièrement tous les jours, et cet élégant mécanisme fournissait l’eau avec abondance aux plantes et aux fleurs. Le matin dès l’aurore, et le soir au déclin du jour, les oiseaux mouches venaient becqueter les roses et animaient de leur présence ce lieu enchanteur. On pouvait se croire en pleine campagne ; aucun bruit ne troublait le charme de cette demeure paisible, et la tranquillité la plus parfaite régnait aux alentours.

Chinoises, femmes de négociants, à San Francisco. — Dessin de G. Boulanger d’après une photographie.

Pour donner une idée de la sécurité dont on jouissait alors à San Francisco, je dirai que les fenêtres de ma chambre, qui donnaient de plain-pied sur la rue, fermaient à peine, et que même un carreau de vitre manquait. J’en prévins mon hôte, qui ne parut pas s’en inquiéter autrement. On n’était plus en ces temps orageux où la loi de Lynch et les comités de vigilance avaient dû prendre la place des tribunaux réguliers ; où les convicts de l’Australie et les loafers américains, unis à tous les bandits de l’univers, qui s’étaient donné un commun rendez-vous dans le pays de l’or, pillaient la ville aux quatre coins, et joignaient le meurtre au pillage. L’époque avait disparu de ces fameux incendies, allumés parfois à dessein, et qui détruisaient en un jour des villes bâties en plusieurs mois ; on avait fait fermer aussi ces maisons de jeux célèbres, où le bruit du revolver se mêlait aux cris et aux imprécations des joueurs. Tout était rentré dans l’ordre, grâce aux moyens violents de répression dont il avait fallu faire usage ; et depuis plusieurs années, non-seulement San Francisco, mais la Californie elle-même tout entière, n’avaient rien à envier aux pays les plus civilisés et les plus paisibles. Et voilà pourquoi mon hôte respectable prenait si peu de soin de la fermeture de ses portes et de ses fenêtres ; et voilà pourquoi, cher lecteur, après avoir négligé en partant de faire à Paris, chez Devisme ou Lepage, l’emplette d’un revolver, d’une carabine ou d’un couteau-poignard, je commis à San Francisco la même négligence, et me contentai de jeter un coup d’œil, à travers les vitrines des armuriers, sur le pistolet à six coups de Colt, le