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tée de l’eau et du bois sec, et nous partîmes emportant pour nous-mêmes une provision de deux jours. Avant de nous éloigner, cependant, M. Burke lui demanda encore s’il désirait toujours de nous voir partir, attendu qu’en aucune autre circonstance il ne l’aurait laissé ainsi ; M. Wills nous répéta qu’il regardait ce parti comme notre seule chance. Puis il donna à M. Burke une lettre et sa montre pour son père, et nous enterrâmes les journaux de route. M. Wills me dit que dans le cas où je survivrais à M. Burke, il espérait que j’accomplirais ses dernières volontés en remettant la lettre et la montre à son père.

Cooper’s-Creek. — Dessin de Guiaud d’après une gravure australienne.

« Durant notre marche du premier jour, M. Burke paraissait très-faible, et se plaignait de grandes douleurs dans les jambes et dans le dos. Le second jour, il parut mieux, et il dit qu’il croyait que les forces lui revenaient ; mais nous n’eûmes pas fait deux milles qu’il déclara ne pouvoir aller plus loin. J’insistai pour qu’il essayât encore, et je m’efforçai plusieurs fois de le soutenir. Je vis bien à la fin qu’il était à bout de forces ; et, de fait, il jeta à terre son sac et le reste, en disant qu’il ne pouvait plus rien porter. J’allégeai aussi le mien, ne gardant rien autre chose que mon fusil, ma poudre et des balles, un petit sac et des allumettes. Nous nous remîmes à marcher ; mais nous n’avions pas fait grand chemin quand M. Burke me dit qu’il fallait nous arrêter pour la nuit. Cependant comme l’endroit était près d’une nappe d’eau et exposé au vent, je le décidai à aller camper un peu plus loin. Nous nous mîmes à chercher du nardou, et nous en trouvâmes un peu que je pilai ; avec une corneille que je tuai, cela nous fit un assez bon souper. M. Burke en prit sa part, quoique depuis notre halte il parût aller plus mal. « Je sens bien, me dit-il, que je n’ai plus que peu d’heures à vivre ; » sur quoi il me donna sa montre, qu’il me dit appartenir au comité, ainsi qu’un calepin où il écrivit quelques notes et qu’il me chargea de remettre à sir William Stawell. Il me dit alors : « J’espère que vous resterez ici, près de moi, jusqu’à ce que je sois tout à fait mort. C’est un soulagement que de savoir qu’on a quelqu’un près de soi ! Mais quand je serai mort, je désire que vous placiez le pistolet dans ma main droite, et que vous me laissiez tel que je serai, sans me mettre en terre. » Le reste de la soirée, il parla très-peu, et le lendemain matin il avait à peu près perdu la parole. Il expira vers les huit heures. Je me tins encore là quelques heures ; mais comme je vis qu’il était inutile que je restasse plus longtemps, je partis pour remonter le creek à la recherche des natifs. Je me sentais bien isolé… »

Après avoir erré pendant deux jours, un peu réconforté par la trouvaille qu’il fit d’un sac de nardou déposé par les indigènes dans un de leurs campements, il se dé-