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d’une grande frayeur. Ils ne se sentaient sûrement pas en force, quoique nos voyageurs ne fussent, nous le savons, qu’au nombre de quatre. Enfin, le 11 février, la petite caravane arriva au voisinage du golfe. Du moins la carte itinéraire de M. Wills marque la dernière station à une très-petite distance de la côte ; et cependant, chose assez étrange, dans ce que l’on a retrouvé des fragments du journal de Burke, on lit ceci : « On peut dire que nous étions arrivés au golfe ; cependant nous ne pûmes avoir la vue de la pleine mer, quoique nous y ayons fait tous nos efforts. » Le nom de la rivière non plus n’est pas donné. D’après les estimes de longitude de M. Wills, ce ne peut être le Prince-Albert’s-River, comme on l’a supposé, mais bien un cours d’eau notablement plus oriental. En géographie, l’exactitude a toujours son importance.

Le journal de Wills ne peut nous donner d’éclaircissements sur ce qu’il peut y avoir d’obscur dans ces diverses circonstances de l’approche du golfe ; précisément ici il y a une lacune de plusieurs jours, dont la cause n’est pas expliquée. On voit seulement que le 16 février, Burke et ses trois compagnons jugèrent nécessaire de revenir au sud. Ici nous retrouvons la suite du journal de Wills.

L’expédition suit au retour exactement la route qu’elle avait prise eu venant vers le golfe ; souvent on fait halte aux lieux mêmes où l’on avait campé le mois précédent. La seule différence entre les deux marches, c’est que la seconde a lieu au fort de la saison des pluies, qui noie les bas-fonds, détrempe le sol, et rend les marches beaucoup plus pénibles. Une extrême lassitude commence à se faire sentir, et les voyageurs, ainsi que leurs montures, en ressentent d’autant plus les atteintes que les vivres, qui s’épuisent rapidement, sont devenus pour eux une autre cause de souci. Le 3 mars, on tue un énorme serpent dont on mange la chair, ce qui amène un commencement de dyssenterie. Le 10 avril, on abat l’unique cheval que l’on eût conservé, pour s’en faire un supplément de provisions. « Le pauvre Billy (c’est le nom du cheval) était tellement réduit et à bout de forces par le manque de nourriture, qu’il paraissait avoir bien peu de chances d’atteindre l’autre côté du désert ; et comme nous nous trouvions nous-mêmes très à court de provisions, nous pensâmes que le mieux était de nous assurer tout d’un coup de sa chair. Nous le trouvâmes sain et tendre, mais sans la moindre trace de graisse sur aucune partie du corps. »

Le 17, un des trois compagnons de Burke, Gray, tombe épuisé et ne se relève plus. « Mercredi, 17 avril. Ce matin, au lever du soleil, Gray est mort. Il n’avait pas prononcé une parole distincte depuis sa première attaque, qui avait eu lieu au moment du départ. » Voilà toute l’oraison funèbre que lui consacre le journal. Chacun commençait à être tellement absorbé dans sa propre souffrance, qu’on n’avait plus guère le temps de s’arrêter beaucoup à celle des autres.

On n’était plus cependant qu’à quatre marches du dépôt de Cooper’s-Creek, où Brahe avait été laissé avec ses hommes et où Burke comptait trouver une abondante réserve de provisions fraîches ; mais là devait commencer pour les voyageurs une suite de cruelles déceptions.

Que s’était-il passé durant leur absence ?

Quatre mois s’étaient écoulés depuis que Burke avait quitté Cooper’s-Creek ; on était, nous venons de le voir, au milieu d’avril. On conçoit qu’une pareille station avait dû paraître longue aux quatre hommes laissés dans ce poste, bien que cet espace de quatre mois n’eût rien d’excessif, eu égard aux conditions d’un voyage australien. Malheureusement, le petit poste avait été attaqué du scorbut, et Brahe, selon les termes de son rapport, craignit d’être réduit aux dernières extrémités. Il se détermina donc à se replier avec ses trois hommes vers les établissements de la rivière Darling, à mi-chemin entre Cooper’s-Creek et Melbourne. Il enterra au pied d’un arbre, avec un signe de reconnaissance, une partie des provisions qui lui restaient, et il partit.

C’était dans la matinée du 21 avril ; le soir du même jour, Burke, King et Wills arrivaient au poste abandonné !

Le lendemain 22, Burke écrivait pour la société de Melbourne cette dépêche, qui a été retrouvée plus tard parmi ses papiers, la dernière que devait tracer sa main déjà défaillante :

« Wills, King et moi (Gray est mort), nous sommes arrivés ici hier au soir, venant de Carpentaria ; les hommes que nous avions laissés ici au dépôt en étaient partis le matin. Demain nous nous remettons en route pour descendre le creek à petites journées vers Adélaïde, par le mont Hopeless ; nous tâcherons de suivre la route de Gregory, mais nous sommes très-faibles. Les deux chameaux sont rendus, et nous ne serons pas capables de faire plus de quatre à cinq milles par jour. Gray est mort en route d’épuisement et de fatigue. Nous avons tous beaucoup souffert de la faim. J’espère que les provisions laissées ici nous rendront nos forces.

« Nous avons découvert une route praticable d’ici à Carpentaria, dont la plus grande partie suit le cent quarantième degré de longitude orientale. Il y a quelques parties de bon pays entre cette route et le désert pierreux ; d’ici au tropique le pays est sec et pierreux. Entre le tropique et Carpentaria, une partie considérable du pays est montueuse, mais elle est bien arrosée et couverte de riches herbages. Nous avons atteint le golfe de Carpentaria le 11 février 1861. Notre désappointement a été grand en trouvant les hommes laissés ici partis.

« P. S. Les chameaux ne peuvent plus aller, et nous mêmes nous ne pouvons plus marcher, sans quoi nous suivrions l’autre parti. Nous descendrons le creek très-lentement. »

Ce qui avait fait prendre à Burke la détermination que son message annonce, c’est que désespérant de pouvoir faire, dans leur état de faiblesse et de dénûment, les quatre cents milles qui séparent Cooper’s-Creek des postes du Darling, les trois explorateurs comptaient arriver à des établissements beaucoup plus rapprochés en se portant au sud dans la direction d’Adélaïde (la capitale de la province de South-Australia). Le mont